950 millions d’euros à trouver pour Île-de-France mobilités: qui va payer ?

L’époque des débats sur la gratuité des transports en commun semble déjà bien loin. Les comptes d’Île-de-France Mobilités (IdFM), qui gère les bus, métro, RER, etc. de la région, sont dans le rouge. Si bien que Valérie Pécresse agite la menace d’un pass Navigo à 100 euros par mois dès 2023 si elle n’obtient pas de financements supplémentaires.

Après deux ans de crise sanitaire, le remboursement de sa dette couplée à l’envolée des prix de l’énergie mettent IdFM dans une situation délicate: Valérie Pécresse parle d’un surcoût d’exploitation de 950 millions d’euros, sur près de 11 milliards d’euros actuellement. La présidente de l’Île-de-France appelle à l’aide l’État et des opérateurs, mais pas certain que cela suffise.

Une hausse du pass Navigo?

Pour ne pas faire exploser le prix du pass Navigo, la chasse aux 950 millions a déjà commencé en interne. Île-de-France Mobilités affirme avoir identifié 200 millions d’euros d’économies pour commencer à boucler son budget. Des économies qui pourraient passer par le report de nombreux projets, sans qu’une liste précise ait déjà été établie, et par une offre de service moins importante. En 2023, le service de transport devrait être maintenu à 98% de l’offre normale, permettant d’économiser au moins 50 millions d’euros.

Mais cette solution ne plaît pas aux associations d’usagers, qui préféraient presque une hausse du prix du pass Navigo. “Le chiffre de 98% de service cache une grande disparité. Quasiment toutes les lignes du métro parisien et plus de 150 lignes de bus fonctionnent déjà avec un service réduit ”, regrette Marc Pélissier, le président de l’association d’usagers des transports FNAUT d’Île-de-France. Lui n’est pas opposé à une hausse “raisonnable” du prix du Navigo, qui n’a pas bougé depuis 5 ans. Mais les associations d’usagers réclament en contrepartie le retour d’une offre de service à 100%.

“Même une hausse du pass Navigo à 95 euros par mois ne suffirait pas, il manquerait toujours des nouvelles recettes, assène de son côté Isabelle Beressi, élue socialiste au conseil régional et administratrice d’Île-de-France Mobilités. On prévient la présidente depuis longtemps que l’année 2023 sera une impasse budgétaire, ce n’est pas uniquement la faute de la hausse des prix de l’énergie.” Alors même si la hausse du pass Navigo pourrait aider à réduire le trou budgétaire, IdFM doit trouver de nouvelles recettes. Pour cela, Valérie Pécresse compte une nouvelle fois sur un coup de pouce de l’État.

L’État à la rescousse?

Valérie Pécresse est une habituée des bras de fer avec le gouvernement pour assurer le financement d’IdFM. Lors du dernier en date, en septembre 2021, elle avait suspendu le versement des contributions à la RATP et à la SNCF tant que l’État n’aurait pas compensé les 1,3 milliard d’euros de pertes liées à la crise Covid. Finalement, la présidente de la Région avait obtenu 800 millions d’euros d’avances… mais remboursables. Ce qui n’a pas manqué de faire grincer des dents dans leur camp: “Nous, on nous a fait des avances remboursables quand dans tous les autres pays l’État donne des subventions face à la crise du Covid.”

Cette fois-ci, Valérie Pécresse demande à l’État un geste généreux sur la TVA pour les transports publics, en la baissant de 10% à 5,5%. Une proposition qui pourrait renflouer les caisses de la région de 150 millions d’euros par an, mais qui reste improbable. La patronne de l’Ile-de-France l’avoue elle-même à demi-mot, le gouvernement n’en veut pas. Mais elle compte bien réunir les parlementaires franciliens pour pousser cette réforme, nécessitant une modification dans la loi.

Autre piste, L’ancienne candidate à la présidentielle voudrait mettre à contribution les opérateurs que sont la RATP et la SNCF.  Elle évoque une charge exceptionnelle de 200 millions d’euros pour les deux groupes qui feraient des marges plus importantes que prévu en Île-de-France. Un argument à nuancer, car si la hausse du prix du gasoil devrait retomber presqu’entièrement sur IdFM, celle de l’électricité devrait bien, elle, être déjà partagée avec la RATP et la SNCF. Contacté par Challenges, aucun des deux opérateurs n’a souhaité faire de commentaire sur la demande de financement “exceptionnel” de Valérie Pécresse, qui devra sûrement trouver son financement ailleurs.

Une hausse d’impôts pour les entreprises?

Dernier levier, peut-être le plus important, les entreprises franciliennes pourraient être mises à contribution pour combler ce déficit budgétaire. Le Versement mobilité (VM), une taxe sur la masse salariale des entreprises de plus de 11 salariés, représente déjà 45% des ressources d’IdFM, soit plus de 4,4 milliards d’euros. Grâce à une augmentation du VM, Valérie Pécresse espère récupérer entre 250 et 300 millions d’euros par an. Là encore, la présidente de région ne peut qu’espérer que les parlementaires lui accordent. Car cela impliquerait une modification de la loi pour augmenter le taux du VM, qui se situe déjà à son maximum à Paris.

Pour Yves Crozet, Professeur émérite à Sciences-Po Lyon et spécialiste des transports: “il paraît inévitable de mettre encore plus à contribution les entreprises. Mais il faut faire  attention, ce genre d’impôts va finir par les faire fuir de l’Île-de-France. Sur le long terme, Yves Crozet ne croît pas du tout à un retour à l’équilibre des comptes d’IdFM: “Le rapport entre les recettes et les dépenses d’exploitation était encore de 39% en 2019, il est tombé à 27% en 2021, et la tendance ne s’inversera pas”, prédit-il. En clair, IdFM fonctionne de plus en pus grâce à la dette et de moins en moins grâce aux recettes des tickets et abonnements.

Dans son rapport 2022 sur le financement des transports franciliens, la Cour des Comptes incite la Région à trouver urgemment de nouvelles sources de financement. Parmi les pistes envisagées: une taxe sur les automobilistes franciliens ou sur la plus-value immobilière dans la région. En l’absence de nouvelles recettes, “la soutenabilité de la dette d’Île-de-France Mobilités au-delà de 2026 ne peut pas être assurée”. Si on sait pas encore de combien le pass Navigo augmentera l’année prochaine, il y a fort à parier que cela ne fera pas repasser les comptes au vert.