Au Danemark, pays d’Andersen, la vie a tout d’un conte de fées. Dans ce royaume, La Petite Sirène trône, alanguie, dans le port de la capitale, Copenhague, où l’eau est si propre que l’on peut s’y baigner. Le taux de pauvreté y est l’un des plus bas de l’OCDE. Il était une fois La Petite Fille aux Allumettes n’est plus qu’un lointain passé. L’économie est au plein emploi – du moins, elle l’était avant la crise sanitaire (le taux de chômage est de 6% en juillet, contre 3,7% en février et 7,2% en moyenne dans l’Union européenne). Au pays de la « flexisécurité », l’Etat-providence et la libre-entreprise sont bons amis. Le bonheur court les rues. Les Danois – qui payent pourtant autant d’impôts que les Français – sont, avec les Finlandais, les gens les plus heureux du monde, selon le classement « World Happiness Report » de l’ONU. Là-bas, où le mot « skat » veut dire à la fois « impôt » et « chéri », on a à la fois du pétrole, le Groenland et des idées. Après le choc pétrolier, alors que la France de Giscard d’Estaing adoptait le changement d’heure pour réduire la consommation d’électricité, le Danemark travaillait à son indépendance énergétique. A l’époque, l’importation d’or noir assurait 95% des ressources en énergie du pays.
Face au quadruplement des prix du baril, les autorités danoises ont fait le choix, il y a presque cinquante ans, de diversifier les sources d’énergie, avec comme objectif plus récent d’avoir une économie qui tourne à 100% à l’énergie verte d’ici à 2050 (75% aujourd’hui), rappelle Pierre-Samuel Guedj, président d’Affectio Mutandi, société de conseil en stratégie sur les enjeux de responsabilité sociale des entreprises. « La mise en place d’une stratégie nationale à long terme, d’une planification énergétique efficace a parallèlement été renforcée d’une part par une forte participation citoyenne et démocratique et d’autre part par un activisme accru de groupes militants. »
L’éolien a le vent en poupe
Le Danemark, qui a vendu ses activités pétrolières pour investir dans les énergies renouvelables (éoliennes surtout, étant donné les caractéristiques du territoire), est maintenant le pays le plus « vert » au monde, d’après l’indice de performance environnementale établi par les universités de Yale et Columbia, qui évalue l’efficacité des politiques environnementales. Orsted, fondé par l’Etat danois au début des années 70 pour exploiter le pétrole et le gaz en mer du Nord et ainsi s’affranchir de l’approvisionnement du Moyen-Orient, a abandonné ses extractions fossiles en 2008 avant de devenir le numéro un mondial de l’éolien offshore. Coté à la Bourse de Copenhague, Orsted, toujours détenu à plus de 50% par l’Etat, fait partie des neuf composantes de l’indice phare OMX 20 qui ont atteint des records en pleine crise sanitaire, que ce soit au printemps, en plein cœur de l’été ou tout récemment.
Il y a deux jours, mardi 29 septembre, l’OMX 20 a visité de nouveaux plus hauts historiques, alors même que le l’indice MSCI World des pays développés était en passe d’enregistrer sa première baisse mensuelle depuis mars (-3% au finish). « Un des éléments explicatifs majeurs est le fait que l’OMX 20 est composé de plusieurs valeurs liées aux énergies renouvelables qui connaissent, avec la crise, un fort engouement, explique Christopher Dembik, responsable de la recherche économique pour la banque d’investissement danoise Saxo Bank. Beaucoup d’investisseurs parient sur le fait qu’un des mégatrends d’après-Covid va être l’accélération de la transition énergétique, ce qui n’est pas aberrant étant donné que les plans de relance intègrent massivement cette composante et que le candidat à la présidence des Etats-Unis Joe Biden en a fait un des points majeurs de sa campagne électorale. »
« Sur le plan politique, on a le vent dans le dos en ce moment », confirme Gabriel Micheli, gérant du fonds Pictet Global Environnemental Opportunities, qui indique notamment que « la part des énergies renouvelables a augmenté [dans le portefeuille] quand on a vu les plans de relance en Europe. » Orsted et son compatriote Vestas, également au plus haut historique en Bourse, comptent parmi les dix plus grosses positions du fonds. Vestas fabrique des éoliennes et son PDG, Henrik Andersen, était tout heureux d’annoncer en août, lors de la présentation des comptes semestriels, que le groupe avait reçu d’« importantes commandes » des États-Unis, de la Chine, du Vietnam et des Pays-Bas ainsi que « de nombreuses commandes de toute la région Europe-Moyen-Orient-Afrique. Cela n’a pas encore été influencé par le Green Deal, mais bien sûr, nous prenons note du fait que beaucoup de pays parlent maintenant de programme de relance écologique. »
« Une histoire de composition »
Hier, Vestas (+53% depuis le début de l’année) poussait comme jamais au-delà du seuil 1.000 couronnes par action – qu’il a franchi pour la première fois le 3 septembre – pour atteindre une valorisation d’un peu plus de 200 milliards de couronnes, soit 27 milliards d’euros, autant que le français Engie, mais moitié moins qu’Orsted (+27% depuis le début de l’année). Parmi les autres entreprises de l’OMX 20 qui ont atteint des records figurent également : le chimiste vert Novozymes, le spécialiste de la logistique DSV Panalpina (fret aérien et maritime), SimCorp – qui fournit des logiciels de gestion des risques à l’industrie financière -, le fabricant de prothèses auditives GN Store Nord ainsi que, pour rester dans le monde médical, Coloplast (poches de stomie), la biotech Genmab, qui cherche des traitements contre le cancer et le géant de la pharmacie Novo Nordisk, l’un des principaux fournisseurs au monde de traitements à base d’insuline.
L’OMX 20 de Copenhague coche toutes les cases des thématiques porteuses en Bourse depuis le début de l’année : l’ESG, les métiers en croissance, la « tech » et le secteur médical. Voilà qui explique sa surperformance. Il est en hausse de 20% depuis le début de l’année, que ce soit en devises locales ou en euros, à comparer à une chute de 13% pour l’indice européen Stoxx 600. En dollars, il est gagnant de 25,5%, soit davantage que le Nasdaq Composite des valeurs technologiques américaines sur lequel sont cotées des stars comme Amazon ou Apple. « La composition du marché danois est en effet fortement orientée vers des secteurs et des thèmes qui sont actuellement, et dans un avenir prévisible, très favorables, tels que l’investissement durable et l’investissement dans les soins de santé, acquiesce Maarten Geerdink, responsable des actions européennes chez NN IP. Beaucoup des composantes de l’indice ne sont pas très cycliques, à l’exception bien sûr d’AP Moller-Maersk [le plus grand armateur au monde de porte-conteneurs]. De plus, l’indice ne compte qu’une seule banque, à savoir Danske », en baisse de 20% depuis le début de l’année, là où l’indice des banques en Europe chute de 40%. « Les banques nordiques sont mieux capitalisées, bénéficient d’un taux de défaut structurellement plus faible, d’Etats souverains peu endettés », éclaire Thomas Brenier, responsable de la gestion des actions nordiques chez Lazard Frères Gestion.
« La surperformance de l’OMX de Copenhague est surtout une histoire de composition et de poids relativement élevé des industries résistantes au Covid-19, comme la pharmacie », pour l’économiste David Oxley, spécialiste des pays nordiques chez Capital Economics à Londres. Récession ou pas, les malades du diabète ont besoin de leur insuline. La pharmacie est typiquement un secteur défensif.
« Un plancher à la consommation intérieure »
« La grande industrie pharmaceutique danoise a contribué à soutenir les exportations là où, dans le même temps, la demande mondiale de biens et services chutait », analyse par ailleurs Nicolo Pinnola, chez Nordea Asset Management. Le Danemark est un petit pays, où les exportations comptent pour 55% du PIB, laissant tout de même au marché intérieur 45% de la création de richesses. « Le gouvernement danois a réagi rapidement à la crise sanitaire en mettant en place des mesures de confinement préventive et en réduisant la mobilité depuis et vers les pays où l’épidémie se propageait, explique ce spécialiste des obligations et actions nordiques. Ces mesures, ainsi qu’une politique monétaire accommodante et une politique fiscale expansionniste, avec notamment des allocations chômage encore plus généreuses que d’habitude, ont permis une réouverture rapide de l’économie et ont contribué à mettre un plancher à la consommation intérieure. » D’après le scénario de base de Nordea AM, le PIB danois chutera de 4,5% en 2020 en raison du fort recul enregistré au premier semestre (dont -7,4% au deuxième trimestre, selon une première estimation de l’institut statistique national).
Dans les pays du Nord, « les économies ne devraient se contracter que de 3 à 5% cette année contre une moyenne européenne autour de 8% », poursuit Thomas Brenier, chez Lazard Frères Gestion, pour qui la « meilleure tenue des économies nordiques » est l’autre raison qui explique la surperformance de leurs marchés. En Finlande, la Bourse est en hausse d’un peu plus de 1% cette année. L’OMX de Stockholm, en Suède, progresse de 3% ; « seule H&M est en souffrance, avec un cours en baisse de 20%. » Finalement, au sein des pays du Nord, seule la Bourse de Norvège est en baisse. Elle paye sa très forte exposition au business du pétrole qui, à cause de la crise sanitaire, est mis en difficultés par des prix du baril historiquement bas.