« L’histoire n’est pas claire. » A la mi-juin, l’agence d’informations financières Bloomberg notait que, sur les vingt-quatre stratégistes de son panel, près de la moitié d’entre eux avaient, sur le mois passé, revu à la baisse leurs prévisions de bénéfices 2019 des entreprises cotées sur le S&P 500 sans qu’aucun n’ait abaissé ses anticipations haussières sur l’indice star le plus large de la Bourse de New York. « Pour tous ceux qui pensent que les actions dansent au rythme des fondamentaux, la volonté de réduire d’un côté et pas de l’autre peut sembler étrange », ironisait Bloomberg avant d’aller chercher des explications, notamment auprès de Brian Belski, responsable de l’investissement chez BMO Capital Markets.
Le plus optimiste travaille chez Deutsche Bank
Son équipe de recherche sur actions venait tout juste d’abaisser ses prédictions de bénéfices par action de 5% (de 174 à 165 dollars pour 2019), sans que lui ne revoie son objectif de 3.000 points sur le S&P 500, supérieur de 50 points à la cible médiane du consensus Bloomberg. « Nous reconnaissons que nous sous-estimons les dommages potentiels de la guerre commerciale », a-t-il admis. Alors quoi ? « Nos modèles et nos analyses suggèrent toujours que ce niveau [de 3.000 points d’ici à la fin de l’année] reste hautement réalisable. » Les stratégistes disent que « tout cela a un sens dans un monde où la seule chose qui baisse plus vite que les prévisions de résultats, ce sont les rendements des obligations. » Avec un taux des T-Bonds à dix ans sous 2%, un rendement du Bund de même échéance sous celui du taux de dépôt de la BCE (-0,4%), le S&P 500 a franchi, mercredi, les 3.000 points. Voilà atteinte la cible de Brian Belski. Qui était aussi celle de David Kostin (Goldman Sachs), Ben Laidler (HSBC), Dubravko Lakos-Bujas (JP Morgan), Julian Emanuel (BTIG) et Hugo Ste-Marie (Scotiabank).
Wall Street n’avait jamais grimpé à de telles altitudes, le Dow Jones est à plus de 27.000 points et le Nasdaq à plus de 8.200 points. Drôle de timing pour baisser le rideau sur un business actions qui semble marcher fort. Chez Deutsche Bank, le coût des nouvelles réglementations, l’absence de volatilité et des volumes d’échanges faiblards ont eu raison de cette division. Le S&P 500, monté dans le vide, est déjà gagnant de 20% depuis le début de l’année (x4,5 en un peu plus de dix ans) et le stratégiste Binky Chadha de la banque allemande le voit aller à 3.250 points, pourvu que les Etats-Unis et la Chine arrêtent de se faire la guerre. L’indice serait alors gagnant de 30% sur 2019, à comparer avec une croissance attendue des bénéfices de 2,9% pour les Etats-Unis (+3,7% pour le monde), selon le consensus IBES des analystes, après une envolée de plus de 20% en 2018. Les effets des baisses d’impôts s’estompent. Et quelle plaie cette guerre commerciale ! Mais, à les croire, le ralentissement économique mondial ne sera que passager ; ils entrevoient déjà un rebond des bénéfices de plus de 10% en 2020, pour le monde et les Etats-Unis en particulier. Pour être ceux qui, dans l’industrie financière, plongent davantage les mains dans le cambouis, leur avis compte. Ils sont le lien avec l’économie réelle.
La première baisse des profits en trois ans
Les analystes, spécialisés dans un secteur d’activité, auscultent les comptes des entreprises, visitent les sites, interrogent les dirigeants, décryptent les discours des patrons, les traduisent en chiffres, là où les stratégistes ont une vision plus macro. Leurs calculs prédictifs ne concernent pas les indices, mais les actions. Rien n’empêche cependant une agence de données financières d’agréger leurs estimations, leurs objectifs de cours, pour en dégager des cibles sur indices. FactSet l’a fait pour en déduire que les analystes visaient 3.218,78 points sur le S&P 500 à horizon d’un an. L’objectif était d’un peu plus de 3.300 points fin mars. C’était avant que les analystes abaissent leurs objectifs de cours en même temps qu’ils revoyaient, tout au long du deuxième trimestre, leurs prévisions de bénéfices par action (-2,6%, selon FactSet, soit moins que les révisions moyennes à cinq, dix et quinze ans). Pour les entreprises du S&P 500, les profits dégagés entre avril et juin devraient avoir reculé de 1,4% sur un an, selon le dernier relevé FactSet. -2,7% attendu par le consensus Bloomberg.
Aux États-Unis, ce sera la première fois depuis trois ans que les bénéfices trimestriels des entreprises sont en baisse d’une année sur l’autre. Jusqu’à début mai, les analystes prévoyaient encore quelques fractions d’embellie. Le basculement dans le rouge s’est fait quand l’accord commercial entre les Etats-Unis et la Chine a capoté et que l’administration Trump a relevé de 10% à 25% les surtaxes douanières. La guerre commerciale ne devrait pas connaître de nouvelle escalade cette année. Enfin, c’est ce qu’ils espèrent. Avec le cessez-le-feu décidé lors du dernier G20, les bénéfices des entreprises américaines sont attendus stables au troisième trimestre (+0,4% pour Bloomberg), avant une hausse de 6,6% quatrième. Vœu pieu ? FactSet fait remarquer que les analystes ont une fâcheuse tendance au trop plein d’optimisme. « Les analystes ont généralement surestimé le cours de clôture futur du S&P 500 », écrit John Butters, spécialisé dans l’étude des résultats pour l’agence de données financières. En moyenne, leurs objectifs à douze mois, exagéraient la réalité de 2,2% au cours des cinq dernières années, de 3,3% sur les dix dernières années et… de 9,8% sur les quinze dernières. Quand l’économie dérape, pendant les années de crise, leur track record est mauvais.
La saison des publications trimestrielles d’entreprises débutera véritablement la semaine prochaine. Des entreprises américaines ont déjà prévenu que leurs résultats seront en deçà des estimations de Wall Street. Sur les 113 qui ont publié un avant-goût de leurs comptes, 87 (soit un peu plus des trois-quarts) ont lancé un avertissement, dénombrait FactSet, fin juin. Parmi ces sociétés, un tiers sont issues du secteur de la technologie. En Europe, le chimiste BASF a fait état, cette semaine, d’un résultat « considérablement » inférieur aux attentes des analystes.