La Bourse a une sainte horreur de l’incertitude. C’est un endroit où préside la stratégie, l’anticipation, où l’on met un prix sur les bénéfices futurs. Comme les entreprises, les boursiers ont besoin de visibilité pour investir. Et voilà que, tôt ce matin, ils apprennent comme le reste de la planète que Donald Trump, président des Etats-Unis, première économie mondiale, a été testé positif au coronavirus. Au pire moment de surcroît, puisqu’à seulement un mois de l’élection présidentielle, dans la dernière ligne droite de la campagne.
Déjà que l’issue incertaine du scrutin brouillait les cartes, avec la probabilité de plus en plus grande d’un résultat contesté, cette annonce ne fait qu’ajouter de l’incertitude à l’incertitude. « Ce type d’évènement ne figure clairement pas dans les manuels de gestion », témoigne Gary Dugan, à la tête de Global CIO Office, qui fait de la gestion d’actifs. La situation est inédite, les boursiers n’ont pas de références sur lesquelles s’appuyer, les stratégistes actions des banques, des assureurs, des maisons de gestion potassent depuis ce matin le droit constitutionnel américain. Ce sont leurs analyses qui guident dans leurs actions les investisseurs institutionnels, les gérants, les traders.
Des tas de questions
Avant d’y voir plus clair, les boursiers ont donc préféré se délester de leurs actifs risqués, comme les actions des multinationales cycliques, et acheter de l’or ou des titres de propriété d’entreprises dites défensives, travaillant par exemple dans le secteur des services publics (gestion des déchets, gestion de l’eau…) qui, quoi il advienne, auront toujours de la demande ; les poubelles auront toujours besoin d’être ramassées. A la Bourse de Paris, le Cac 40 a perdu jusqu’à 1,3% dans les premiers échanges, avant de contenir ses pertes à mesure que la longue liste des questions que se posent la planète finance se réduisait.
Après recherches, les stratégistes savent maintenant que l’élection ne peut pas être reportée sur la seule demande du locataire de la Maison-Blanche. « Cela ne peut pas se faire par décret. L’article 3 de la Constitution américaine exige une loi votée par le Congrès et signée par le président », explique Stephen Innes, stratégiste en chef chez le courtier en devises et CFD Axi, dans une mise à jour de son commentaire de marché.
Mais les questions restent toutefois très nombreuses. Petit florilège de celles qui nous sont rapportées direcement et de celles que nous pouvons lire dans les notes qui nous sont envoyées. Que se passe-t-il si l’état de santé de Donald Trump s’aggrave ? Etant donné l’âge du président (74 ans) et ses comorbidités va-t-il pouvoir se rétablir rapidement ? Son adversaire démocrate Joe Biden a-t-il été contaminé à l’occasion du débat de cette semaine ? Donald Trump peut-il faire invalider l’élection puisqu’en quarantaine et dans l’impossibilité de vraiment faire campagne ? Est-ce que l’état de santé du président va polariser l’attention politique et empêcher les discussions sur un nouveau plan de relance aux Etats-Unis d’avancer ?
Les pétroliers et la « tech » en forte baisse
Donald Trump devait participer dans la soirée à un meeting de campagne en Floride, un Etat « clé », qui peut faire basculer le cours de l’élection pour laquelle Joe Biden est donné gagnant. La mise en quarantaine signifie qu’il ne pourra pas non plus se montrer en Arizona, autre « Swing State », au vote indécis. Ce qui, jugent certains, ne fait qu’augmenter la probabilité de victoire de Joe Biden. Stephen Innes, chez Axi, voit dans la baisse du jour le résultat d’« un risque dû à la certitude plutôt qu’un risque dû à l’incertitude ».
Joe Biden, prochain président des Etats-Unis, cela veut dire une pression fiscale accrue et davantage de régulation pour les banques et les groupes pétroliers, qui chutent à Wall Street. Alexandre Baradez, stratégiste chez IG, est aussi d’avis de dire que si la Bourse baisse aujourd’hui, c’est qu’elle finit d’acter une victoire de Joe Biden, qui devrait, par ailleurs, avoir une ligne plus dure sur les pratiques anti-concurrentielles des géants de la tech, poids lourds de la cote mondiale, et également en forte baisse à l’ouverture des marchés américains.