Elles étaient « solides » au premier trimestre, les voilà seulement « suffisantes » pour le trimestre passé et vont encore « probablement faiblir au second semestre. » Le gros des entreprises cotées de part et d’autre de l’Atlantique ont dévoilé leurs performances financières à fin juin et, à l’heure du bilan, les stratégistes sont loin d’être enthousiastes. Chez JP Morgan, on pense que « les catalyseurs sont désormais derrière nous. » Très optimiste sur l’évolution des actions au premier semestre, arguant notamment du redressement des bénéfices des sociétés européennes, la plus grosse banque d’affaires au monde table désormais sur une baisse du marché en cette seconde partie de l’année. Les actions sont « franchement chères », une sentence qui pèse d’autant plus lourd alors que les mois d’août et septembre sont généralement mauvais en Bourse.
Aux Etats-Unis, les bénéfices des entreprises du S&P 500 ont progressé en moyenne d’environ 10% sur un an au deuxième trimestre, dépassant de trois points de pourcentage les attentes des analystes, grâce essentiellement à la faiblesse du dollar qui a avantagé les multinationales américaines. Les banques, elles, ont surtout profité d’un effet de base plus favorable, après avoir vu leurs profits rognés par des amendes l’an dernier. N’empêche que pour la première fois depuis le deuxième trimestre 2000, à part quelques rares exceptions comme pour Boeing ou McDonald’s, la Bourse n’a pas « récompensé » la performance. De « mauvais augure », juge Bank of America Merrill Lynch. « Pas d’alpha sur les cinq jours qui ont suivi » la publication. Dans aucun secteur d’activité. Du jamais vu depuis le troisième trimestre 2007. En revanche, au cours de cette saison de publications, si une entreprise du S&P 500 avait le malheur de décevoir les attentes du marché, elle était « punie », plus sévèrement qu’à l’accoutumée. Un « alpha » en moyenne négatif de trois points de pourcentage, a calculé l’équipe de stratégie quantitative de Bank of America Merrill Lynch. Si l’indice de référence progressait de 0,5%, le cours de Bourse de la réprimandée perdait en moyenne 2,5%. L’indice abandonnait 0,5% ? L’action dévissait de 3,5%. La sanction fut plus sévère encore pour les actions du secteur technologique.
Des patrons « pas très offensifs »
Maintenant, « les analystes révisent à la baisse leurs projections pour le second semestre et pour 2018, observe Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC. Comment expliquer ce pessimisme ? » D’abord, l’humeur aussi a ses saisons et, sur les marchés, comme souvent à la fin de l’été, les boursiers, toujours très optimistes en début d’année, revoient leurs anticipations à la baisse. Mais l’explication de l’économiste est ailleurs. Les résultats des entreprises américaines sont certes « bons », mais « pour préserver un taux de croissance du bénéfice par action supérieur au chiffre d’affaires [et donc la rentabilité], la priorité des groupes reste le rachat d’actions et la ‘chasse’ aux coûts superflus […] face à l’impossibilité, sur de nombreux marchés, de remonter les prix de vente. »
Les bénéfices par action des entreprises du S&P 500 étaient en hausse de près de 14% au premier trimestre 2017, ils le sont d’environ 10% au deuxième trimestre et, selon le consensus FactSet, ne le seront plus de 5,6% au troisième trimestre. | Crédits photo : Aurel BGC
Les discours des patrons sur les perspectives n’avaient rien non plus de très engageant. « Pas très offensifs », regrette M. Parisot. Alors oui, comme les institutions internationales, ils se réjouissent du redressement de l’économie européenne. La croissance des ventes fut « solide » en Chine, récapitule l’économiste. La Russie leur a réservé « des bonnes surprises sur le trimestre. » En revanche, à pointer le curseur ailleurs dans le monde, le tableau est un peu plus noir, assez en tout cas pour que les dirigeants d’entreprises s’interrogent sur la durabilité de l’amélioration de l’économie mondiale. « L’économie brésilienne pèse sur l’Amérique latine », « le Moyen-Orient connaît une forte dégradation », « le marché américain est souvent qualifié de très concurrentiel », « la mise en place de la nouvelle TVA pourrait perturber fortement [mais ponctuellement] les ventes du troisième trimestre en Inde », « les évolutions technologiques affectent l’organisation »… Autant d’éléments, avec « les incertitudes politiques, économiques et les risques financiers », qui brouillent la visibilité sur les carnets de commandes et qui font que les prévisions de bénéfices n’ont pas été revues à la hausse. En plus, lasses d’attendre, les entreprises américaines n’ont plus autant confiance qu’en début d’année dans les promesses fiscales de la Maison-Blanche. A peine 10% des dirigeants ont parlé de Donald Trump ou de la nouvelle administration lors des conférences qui ont suivi les publications de résultats, d’après les données de l’outil d’analyses FactSet, contre près de la moitié d’entre eux il y a six mois.
« Humpty Dumpty par terre s’est écrasé »
Les résultats des entreprises du S&P 500 semblent avoir atteint leur « pic » au premier trimestre, se navre le comité d’investissement de Bank of America Merrill Lynch. En plus, « les banques centrales sont en train de couper le robinet à liquidités. » Deux des trois moteurs de la Bourse s’enrayent. Heureusement, les rendements obligataires ne sont pas encore assez alléchants pour faire de l’ombre au marché d’actions. Du moins, pour le moment. Attention à partir septembre, quand la Fed annoncera le début de l’allègement de son bilan, met en garde le chef de la stratégie d’investissement de la banque, qui continue de penser qu’« octobre-novembre constitue le moment le plus probable pour la ‘grande chute’ façon Humpty Dumpty. » L’œuf Humpty Dumpty « sur un muret perché » dans Alice au pays des merveilles. « Humpty Dumpty par terre s’est écrasé. »
« Les obstacles de taux vont s’intensifier au second semestre et les effets de base deviennent moins positifs », pointe-t-on chez JP Morgan Cazenove, la recherche londonienne de la banque, qui table sur une poursuite de la consolidation en Europe en place depuis mai. « Le redressement des résultats observés au second semestre 2016 représente un obstacle plus important, acquiesce Isabelle Mateos y Lago, chef de la gestion diversifiée chez BlackRock Investment Institute. La forte contribution du secteur de l’énergie au redressement des résultats s’atténue. [Grâce au rebond des cours du pétrole], le secteur de l’énergie avait alimenté près d’un quart de la croissance des bénéfices par action sur le marché américain et près de la moitié de la croissance des bénéfices par action en Europe au second semestre 2016. » « L’indice PPI [des prix à la production, qui inclut l’évolution des prix des biens vendus par les entreprises manufacturières aux consommateurs], très corrélé à la qualité des bénéfices par action, va probablement décélérer », charge encore JP Morgan Cazenove.
En prime, la conjoncture économique montre des signes de faiblesse, avec « un retournement dans l’industrie manufacturière, le crédit, l’immobilier et les ventes de voitures » aux Etats-Unis. En Chine, « les lancements de nouveaux projets sont légers. La dernière fois que c’est arrivé, c’était durant l’été 2015, une phase significative de désengagement du risque s’en est suivie. Un gros programme de relance avait alors permis de stabiliser l’activité, ce qui ne devrait pas être le cas cette fois-ci. Le Shibor [le taux auquel les banques chinoises se prêtent mutuellement de l’argent] est en hausse de 200 points de base depuis le début de l’année. » Et alors que, « jusque-là », la zone euro a fait montre de vigueur, « même elle pourrait mollir dans les mois qui viennent », présage JP Morgan Cazenove. Déjà, les indices PMI d’activité faiblissent d’un mois sur l’autre depuis juin.