Ce n’est pas intuitif, mais toutes les entreprises ne profiteront pas du « choc fiscal » promis par le président Macron. Selon Natixis, son impact direct sera même négatif pour certaines d’entre elles. Quatre sur un univers de soixante cotées en Bourse que les stratégistes de la banque d’affaires connaissent bien, ont retenues pour leur positionnement fort en France, et qui verront leur bénéfice par action diminuer par les mesures en faveur de la compétitivité qui seront adoptées cet automne par la loi de finance et entreront en vigueur progressivement à partir de l’an prochain. Toutes ces entreprises tirent pourtant une large part de leurs profits de la France, toutes vont donc tirer avantage de la baisse de l’impôt sur les sociétés. Mais toutes ne vont pas en tirer assez avantage pour compenser la transformation du CICE en allègements pérennes de charges patronales.
Le CICE ou Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est « un dispositif fiscal introduit par le gouvernement Ayrault qui permet aux entreprises imposées à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur les revenus de bénéficier, comme son nom l’indique, d’un crédit d’impôt, rappelle Gautier Nicalin du cabinet d’expertise comptable D&N Associés. Ce crédit est égal à 7% du total des rémunérations brutes annuelles versées à l’ensemble des salariés gagnant moins de deux fois et demi le Smic au cours de l’année civile. Plus le nombre de salariés percevant un revenu annuel brut inférieur à deux fois et demi le Smic est élevé, plus le crédit d’impôt pour l’employeur sera important. »
Sylvain Goyon et Thomas Zlowodzki en sont arrivés à cette conclusion en voulant identifier, dans une étude à destination des clients investisseurs, quelles étaient les actions à privilégier pour « jouer la baisse de la fiscalité et des charges sociales en France. » A coup de tableaux et de graphiques, rendant plus digestes les données brutes de la modélisation mathématique, ils nous rencardent sur les caractéristiques des grandes gagnantes du paquet fiscal : celles qui, à la fois, payent « beaucoup d’impôts en France » et emploient « beaucoup ou aucun smicard(s). »
De toute évidence donc, ce n’est pas le cas de l’équipementier aéronautique Lisi, du spécialiste des entrepôts ID Logistics, du publiciste Havas ou du gérant de maisons de retraite Korian. De toute évidence, parce que les auteurs de l’étude ont admis ne pas forcément avoir accès à tous les chiffres des sociétés. « Parfois, le taux taxable en France et le taux effectif ne sont pas disponibles, expliquent-ils. Dans d’autres cas, la part des charges salariales correspondant à des salariés français, leur éligibilité ou non au CICE, et même la structure de salaires (nécessaire pour appliquer les futurs allègements de charges) ne sont pas applicables. » Ils ont, par conséquence, dû recourir à des hypothèses de calculs en s’appuyant sur des données de l’Insee sur la structure des salaires par industrie. De quoi permettre aux stratégistes de Natixis d’en quadriller un classement duquel il ressort que l’impact combiné de la transformation du CICE et de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés sur le bénéfice par action sera négatif de 2,1% pour Korian, la plus grosse des quatre perdantes dans cette affaire. Et pourtant, près de 90% de ses bénéfices sont dégagés de France. A côté de ça, le blanchisseur industriel Elis, l’une des entreprises retenues par Natixis la plus tournée vers l’international, ressort comme la grande gagnante ; son bénéfice par action va s’enrichir de 7,5%, un peu plus que pour celui d’Iliad (+7,1% sous la seule impulsion de la baisse de l’impôt sur les sociétés, la maison mère de Free ne bénéficiant pas du CICE), de Nexity et d’Eiffage (+7% chacune).
A horizon de 2022, selon les calculs de Natixis, la diminution de la pression fiscale en France aura un effet « notablement positif (au-delà de 5%) » pour onze entreprises, dont Elis qui a, semble-t-il, une large part de ses salariés payés au Smic, et Iliad, un tout autre profil, qui profite uniquement de la baisse de l’impôt sur les sociétés. | Crédits photo : Natixis
En fait, Elis, comme Voyageurs du Monde, Parrot et Casino sont les seules à sortir gagnantes d’une transformation du CICE en des allègements de charges. Des « exceptions » au « schéma » qui veut que « plus la part du CICE est importante, plus l’impact de sa transformation est négatif. » Elles ont en commun, ces entreprises, d’avoir « une part de salariés payés au Smic, ou proche du Smic, très importante. […] Ces salaires devant à terme (2019 a priori) être totalement exonérés de charges sociales patronales, soit une baisse de charges pour l’employeur de 16% du salaire – avant impôt sur les sociétés – et 10,6% après IS (avec le taux actuel de 33%), contre un allègement de 7% après IS aujourd’hui pour le CICE. Pour les sociétés avec des employés à des salaires plus élevés, mais restant aujourd’hui éligibles au CICE (par exemple, sur une plage allant de deux à deux fois et demi le Smic), la transformation du CICE sera négative, puisqu’elles passeront d’un allègement de 7% des salaires bruts (après impôts) à 4,7% après impôts. »
Un coût du travail que Macron veut « durablement plus faible »
L’esprit du programme d’En Marche ! était d’inscrire dans le marbre les baisses des charges patronales en France là où le CICE, par son statut, envoie un message de réversibilité. Son intention « était d’inciter les acteurs économiques à investir en intégrant à leur processus d’investissement un nouveau coût du travail durablement plus faible », selon les termes de Sylvain Goyon et Thomas Zlowodzki. La baisse du taux d’impôt sur les sociétés, elle, « visait deux objectifs. » D’abord, pour les entreprises concernées par le CICE, elle « venait ‘neutraliser’ le surcoût lié au remplacement du crédit d’impôts par une baisse de charges. En effet, alors que le CICE était perçu ‘net d’impôts’ par les entreprises, la baisse des charges ne parvient au résultat net qu’après avoir payé l’impôt. » Et puis, par son programme, le nouveau président voulait « élargir le choc de compétitivité aux entreprises non consommatrices de main d’œuvre faiblement ou modérément qualifiées. Ou, pour le dire autrement, élargir le choc de compétitivité aux entreprises employant des salariés très qualifiés ou ayant une grande intensité capitalistique. […] Un taux d’IS plus faible pour l’ensemble des acteurs français permet également d’inclure les industries à forte valeur ajoutée, qu’elles soient intellectuelles et/ou technologiques. »
Lors de son discours de politique générale du 4 juillet, le Premier ministre Edouard Philippe a confirmé que le CICE sera remplacé par un allègement des charges sur les salaires « proches du Smic », précisant que la réforme entrera en vigueur en 2019. Les modalités et les taux d’allégement n’ont pas été précisés, en dehors du fait que les charges « seraient nulles au niveau du Smic. » Selon toute vraisemblance donc, les entreprises bénéficieront en 2018 du CICE au titre de l’année 2017 avant de voir, à partir de janvier 2019, leurs charges allégées.
Au bout du compte, à horizon de 2022, Natixis en arrive à la conclusion que la diminution de la pression fiscale en France aura un effet « notablement positif (au-delà de 5%) » pour onze des entreprises que la banque a passées au crible. Il s’agit, aux côtés d’Elis, d’Iliad, de Nexity et d’Eiffage, de Groupe ADP, de Voyageurs du monde, d’April, de CNP Assurances, d’Albioma, de Casino et de Kaufman et Broad. Evidemment, ces impacts sont a minima et ne prennent pas en compte les effets de compétitivité de second tour. « Les sociétés françaises ont une base de coûts qui comprend le plus souvent des fournisseurs français. Si ces fournisseurs connaissent une amélioration de leur profitabilité, ils pourront en redistribuer une partie à leurs clients sous forme de baisse des prix », expliquent les stratégistes. Le « choc fiscal » pourrait donc produire des effets d’une magnitude supérieure à celle modélisée par la banque.