La Bourse est allée « plus vite que la musique. » En trois mois, avec Pfizer et BioNTech qui ont dégagé l’horizon, vite épaulés par la suite par Moderna et AstraZeneca, les grands marchés mondiaux ont rebondi de 20%. Jusqu’à récemment, le scénario pour 2021 était « simple », rappelle Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC. C’était celui d’un « rebond violent et rapide de l’économie et la fin de l’incertitude sanitaire avec le bouclage des grandes campagnes de vaccination d’ici à l’été. »
Sauf que le plan ne se déroule pas sans accroc. « La situation est clairement plus complexe, comme semblent le rappeler les premières publications de résultats », constate l’économiste. Les discours des chefs d’entreprises sont loin d’être optimistes. Par exemple, au sein des banques américaines, comme JPMorgan ou Bank of America, qui ont publié la semaine dernière leurs comptes trimestriels de la fin 2020 et donné leurs prévisions pour la nouvelle année, les patrons ont déclaré lors des conference calls que le redressement des bénéfices sera lent et progressif malgré le plan de soutien à l’économie. « L’incertitude sur les taux et les marges d’intérêt reste importante, les défauts – notamment des entreprises – sur les prêts sont à venir et les résultats sur les marchés sont, par nature, volatils », résume Christian Parisot.
Les variants, « grands risques pour la reprise »
Cette semaine, la saison des publications d’entreprises monte en puissance, avec un peu plus d’une centaine d’américaines cotées au S&P 500 qui rendront leur copie (dont Apple, Facebook, Tesla, Johnson & Johnson, Boeing, Caterpillar ou McDonald’s), de même qu’une quarantaine de grandes entreprises européennes du Stoxx 600, parmi lesquelles UBS, Novartis et LVMH. Là encore, ce sont les prévisions pour 2021 qui vont retenir l’attention des boursiers, plus que les résultats passés (à ce titre, les chiffres des PIB du quatrième trimestre pour l’Europe et les Etats-Unis donneront jeudi et vendredi une vision globale de la situation à fin 2020).
Mais déjà, le responsable de la stratégie de Deutsche Bank, Jim Reid, admet qu’« il y a maintenant un peu plus de doutes dans [son] esprit qu’en novembre » quant à « une énorme poussée d’activité économique d’ici à l’été. » La faute à des « vaccinations qui sont plus lentes que ce à quoi nous nous attendions dans pratiquement tous les grands pays et même dans les pays où la mise en route a été plus rapide, comme au Royaume-Uni. [Au Royaume-Uni], la stratégie de la dose unique signifie que la protection complète sera plus lente à se concrétiser. Il ne semble pas non plus que la simple vaccination des personnes vulnérables suffise à lever la plupart des restrictions, contrairement à ce que nous avions prévu. Cela est dû en partie aux préoccupations croissantes concernant les mutations du virus dans diverses parties du monde. Tant que les scientifiques n’auront pas statué de l’efficacité des vaccins actuels sur les souches mutantes, il est probable qu’ils hésiteront à lever les restrictions. » Christian Keller, le chef de la recherche chez Barclays, explique que « qui dit incertitude sur le virus, dit incertitude sur la reprise. […] L’incertitude sur l’immunité s’est accrue, avec l’apparition des nouvelles souches », qui sont un « grand risque pour le calendrier de vaccination et les scénarios de reprise. »
« Quel spectacle misérable » en Europe
Le cas de l’Europe est de loin le plus préoccupant, vu de la Bourse. « Les responsables politiques européens semblent perdre une partie de leurs ambitions et de leur détermination à vaincre la pandémie, s’insurge Erik Nielsen, économiste de marché en chef chez UniCredit. La lenteur du déploiement des vaccins par rapport à d’autres pays dont le secteur de la santé est supposé moins développé, comme les États-Unis, est ahurissante […]. Quel spectacle misérable que de regarder les tableaux des vaccinations et de voir les grands pays européens apparemment incapables d’organiser le processus de vaccination de leur population à un rythme approprié. Cela risque de repousser encore plus loin le jour de l’immunité collective, mettant ainsi en péril la force de la reprise attendue. Et s’il y a une chose sur laquelle nous semblons tous être d’accord, c’est l’incroyable incertitude quant aux perspectives. […]
Pourtant, au-delà de l’accord donné la semaine dernière par le parlement italien pour augmenter modestement le déficit de cette année afin de soutenir les entreprises et le secteur des soins de santé en difficulté, je n’ai pas connaissance d’autres plans mesurables en Europe visant à renforcer la relance budgétaire […]. Le silence des ministres européens des Finances contraste fortement avec leur action impressionnante en 2020 et avec la réponse apportée dans d’autres parties du monde, notamment aux États-Unis et en Chine. »
Tandis que Wall Street visitait des nouveaux records la semaine dernière, alimentant les craintes d’une bulle, la Bourse de Paris reculait pour une deuxième semaine d’affilée, ce qui ne lui était plus arrivé depuis la fin octobre. Il s’agirait-là d’un juste retour à la réalité, explique-t-on chez les stratégistes. Sébastien Galy, chez Nordea AM, constate que les marchés se sont éloignés de plus en plus des réalités économiques, après trois mois d’une progression quasi interrompue (+20% pour l’indice MSCI World des grands pays développés). « Le consensus est que le marché des actions risque une correction mais pas un bear market. » L’équipe stratégique de JPMorgan Cazenove dirigée par Mislav Matejka met en garde contre des poussées de volatilité et des prises de bénéfices possibles sur les « points chauds » de la cote (les entreprises récemment introduites en Bourse, les SPACs, Tesla et d’autres grands noms de la « tech », l’ESG, les cryptomonnaies) qui pourraient s’étendre à toutes les actions, des « périodes de faiblesse [qui] doivent être utilisées comme des occasions d’ajouter de l’exposition. » Pour JPMorgan, les actions resteront sur une tendance haussière à long terme tant que les banques centrales injecteront des liquidités. Mais à court terme, l’heure est à la prudence.
Une entreprise sur six à des plus haut en Europe
Il y a tout de même en Europe, parmi les plus grosses capitalisations, une quarantaine de grandes entreprises qui ont échappé au rappel de la gravité. Quarante-et-une exactement, dont deux entreprises qui, malgré les dégagements bénéficiaires, ont atteint des nouveaux plus hauts historiques en Bourse : Eurofins Scientific, spécialisé dans le dépistage du Covid-19 et les tests d’analyses de l’eau ou de la nourriture, et la Française des Jeux qui, après avoir souffert du premier confinement, a vite retrouvé son activité d’avant-crise.
Depuis le début de l’année, ce sont sept entreprises françaises du Stoxx 600 qui ont atteint des records. Hermès, LVMH, Schneider Electric, Legrand et Dassault Systèmes se sont également illustrées. Globalement, sur les 600 plus grosses entreprises européennes, 102 ont visité des nouveaux sommets au cours des trois premières semaines de l’année 2021. De la « tech », des spécialistes de la santé, du luxe et des fabricants d’énergies vertes. Aux Etats-Unis, ce sont plus d’un quart (27%) des entreprises du S&P 500 qui ont atteint des records.