Les fonds ESG doivent-ils leurs bonnes performances des derniers mois aux valeurs « technos » ? Plusieurs études ont reconnu la robustesse de l’investissement responsable en cette période de tourmente sanitaire et boursière. Novethic a fait le calcul : entre le 1er janvier et le 18 mars 2020, période incluant donc la dégringolade des marchés liée à la pandémie de Covid-19 (le Cac 40 a touché son point bas le 18 mars), les fonds durables ont connu une performance supérieure de 1,4 point à celle de leurs homologues « classiques ». De quoi encourager les investisseurs à s’engager sur le chemin de la vertu : d’après Morningstar, les ETF ESG ont capté près de 30% des flux du troisième trimestre en Europe, soit plus de 8 milliards d’euros. Or, ces fonds d’investissement responsables permettent de jouer les thématiques en vogue : énergies renouvelables, efficacité énergétique… mais aussi transformation numérique, car ils font la part belle aux valeurs technologiques. Le poids du secteur information technologie dans l’indice MSCI Europe ISR (investissement socialement responsable) dépasse 10%, soit 3 points de plus que dans son équivalent généraliste, le MSCI Europe.
Pour autant, les impacts néfastes du secteur technologique sur l’environnement n’ont rien de virtuel. Pour travailler à distance, regarder des vidéos, écouter de la musique, échanger des mails… il faut des équipements et des serveurs informatiques, très gourmands en ressources. Le secteur représente plus de 4% de la consommation énergétique mondiale, un chiffre appelé à croître rapidement. En France, Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, a résumé ainsi les enjeux : « Le numérique est une opportunité comme un défi pour la transition écologique. Opportunité grâce au télétravail ou encore à une utilisation parcimonieuse de ressources précieuses comme l’eau ou l’énergie. Mais défi également lorsque l’on estime qu’entre 2010 et 2025 l’impact environnemental du numérique pourrait tripler. » Et encore, ce n’est pas le seul sujet sur lequel les entreprises technologiques ont des progrès à faire.
Les entreprises françaises bien placées
La France a donc des ambitions, mais il faut reconnaître que les grands acteurs européens, et notamment tricolores, appartiennent déjà au dessus du panier mondial. Comme le souligne Sabine Lochmann, la présidente de Vigeo Eiris, « les entreprises technologiques européennes contribuent à hauteur de 25% aux efforts qui permettent d’améliorer la consommation de l’énergie, notamment car elles utilisent de plus en plus des énergies renouvelables (de 20% à 25%), mais aussi parce qu’elles recourent à la virtualisation des serveurs, pour avoir un impact moins élevé en termes d’émission de gaz à effet de serre, et à la mutualisation des moyens mis au service de leurs activités ». Ces efforts se reflètent dans les notes attribuées par l’agence.
Beaucoup de sociétés de logiciels sont situées en Amérique du Nord, où la maturité sur la prise en compte des enjeux ESG et la réglementation sur le reporting correspondant sont moins avancées. S’agissant des équipementiers technologiques, beaucoup sont basés en Asie, où ces thèmes ont certes tendance à progresser, mais où il manque encore une législation pour les contraindre à ces efforts. Les notes attribuées par Vigeo Eiris sont éloquentes : le score global (c’est-à-dire intégrant les trois piliers E, S et G) des équipementiers d’Asie-Pacifique se limite à 34 sur 100 en moyenne. A titre de comparaison, STMicroelectronics affiche, pour sa part, une note de 58.
Sur le volet environnemental, plus spécifiquement, les Français ont un coup d’avance. Parmi les valeurs les plus traitées de la cote parisienne (SRD), les secteurs SSII-logiciels et équipementiers-opérateurs télécoms se situent un peu au-dessus de la moyenne. Le spécialiste du paiement Worldline détient même la deuxième note « E » la plus élevée de tout le SRD (derrière Kering), avec 82 sur 100 ! Sopra Steria Group (81), Atos (77), Capgemini (71) sont également très bien classés sur cette thématique. Quelques très mauvais élèves se trouvent en bas de tableau : Akka Technologies (34), Iliad (29) ou encore Soitec (28). Une hétérogénéité que l’on retrouve aussi en étudiant le score de transition énergétique, qui évalue la stratégie de chacun pour minimiser son impact.
Un score social très moyen
Si les aspects énergétiques focalisent l’attention, ils ne doivent pas éluder d’autres sujets majeurs, notamment en matière sociale, pilier sur lequel le secteur des services informatiques et logiciels est moins performant que la moyenne du SRD (53), avec un score inférieur à 48. « L’un des principaux enjeux des entreprises de logiciels est le respect des droits humains, en particulier le respect du droit à la vie privée, du fait de l’importante quantité de données auxquelles elles ont accès », souligne Baptiste Debue, chez Vigeo Eiris.
Autre point d’attention : les enjeux liés à la gouvernance. Malgré les bons scores « G » de Capgemini (60), d’Atos et d’Orange (57 ex-aequo), le secteur technologique dans son ensemble pèche par rapport au reste de la cote, avec un score moyen de 47 contre 52 pour le SRD. Premier constat, la faible proportion de femmes dans le secteur, notamment parmi les cadres : à peine plus de 20% en moyenne, du moins pour les entreprises qui communiquent cette information. Et le secteur doit aussi s’améliorer en matière de politique de rémunération : lien entre la part variable des dirigeants et les objectifs, indépendance du comité de rémunération, etc. Les scores en la matière sont de 37 en moyenne, un niveau encore plus faible, donc, qu’une performance d’ensemble déjà limitée pour le SRD, de 43.
Les mastodontes américains, nains de l’ESG
Difficile d’aborder le secteur technologique en se cantonnant aux acteurs français. Ce serait faire l’impasse sur les plus grosses capitalisations mondiales, ces géants qui font la pluie et le beau temps dans la publicité comme sur le marché des smartphones, et cumulent pas loin de 8.000 milliards de dollars de capitalisation boursière : Alphabet (Google), Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, autrement dit les Gafam, auxquels nous ajoutons le champion des films et séries en streaming, Netflix.
Mais si leurs performances boursières sont brillantes, leurs scores en matière ESG sont bien ternes, à l’exception de Microsoft. « Trois entreprises, Google, Microsoft et Apple, sortent du lot sur le pilier environnement, car elles font beaucoup d’efforts pour utiliser des énergies renouvelables, développer des data centers de basse consommation… », reconnaît toutefois Baptiste Debue. Le créateur de Windows est aussi bien noté en matière de gouvernance (« G ») et affiche même le score global ESG le plus élevé de ces six entreprises. Mais, sur le volet social, les notes plongent. Il faut dire que, en dehors de Microsoft, les scores estimés par Vigeo Eiris en matière de respect des droits humains sont médiocres. « Compte tenu de leur taille, les Gafam sont plus exposés sur le plan médiatique et font donc l’objet d’un très grand nombre de controverses sérieuses, notamment en matière de droit à la vie privée », explique l’expert de Vigeo Eiris : 57 au compteur de Facebook, 35 pour Alphabet ! « Malgré tout, des efforts sont faits, signale Sabine Lochmann. Ces entreprises nous répondent quand on les interroge, voire mettent en place des actions et font évaluer un certain nombre de pratiques. »