Forcément, ça devait arriver… Après un 26ème confinement, avec des bureaux vides partout dans Paris et un télétravail qui est devenu la norme, les entreprises ont compris qu’il fallait tourner la page: après une France sans usine, voici la France sans bureaux. Ce scénario futuriste est certes loin de se concrétiser de manière aussi radicale. Nous n’avons vécu aujourd’hui que deux confinements (le troisième n’est pas encore confirmé), le télétravail se met en place doucement, et les entreprises s’accrochent encore à leurs bureaux. Vous garderez donc le vôtre, avec son vieux PC, son agenda de l’année passé et de vieilles photos de vacances punaisées au mur. Pour le moment… Car les derniers chiffres montrent un certain flottement. Les prises à bail, l’an dernier, sont tombées à 1,38 million de mètres carrés. La chute est de 42% en un an et de 40% par rapport à la moyenne décennale. C’est “le pire résultat des vingt dernières années”, résume Renaud Boëssé, directeur du marché des bureaux de Paris au conseil en immobilier d’entreprise Knight Frank.
Alors, forcément, avec de tels résultats, ça phosphore pas mal du côté des promoteurs et des grandes entreprises. Sur des nouveaux usages, sur des réductions de surfaces. De nombreux groupes ont révisé leurs projets. Comme Engie, dont le campus, sur l’ancien site de PSA de La Garenne-Colombes, a été largement “downsizé”, puisqu’il est passé de 135.000 m² à…. 94.000 m². L’énergéticien n’occupera que quatre des six immeubles commandés, conséquence de compressions d’effectifs et du recours accru au télétravail. Idem pour le Crédit Mutuel de Strasbourg, qui a renoncé en fin d’année dernière à la construction d’un immeuble de grande hauteur à Wacken, un quartier de Strasbourg. Le projet Archipel2 a été officiellement abandonné pour cause de Covid-19 et… de généralisation du télétravail, qui rend moins essentiels les bureaux.
Des besoins en recul de 27%
Selon une étude de Natixis, le télétravail pourrait vider, à l’horizon 2030, 11 millions de mètres carrés de bureaux, soit 20% du parc en Île-de-France. La banque a considéré que le télétravail concernerait moins de la moitié des entreprises, à raison de deux jours de travail en distanciel par semaine et par collaborateur. Un postulat raisonnable: un sondage récent Ipsos/Périal montre que les salariés sont largement favorables à ces deux jours par semaine (et opposés à plus de distanciel), même si Elisabeth Borne, la ministre du Travail, continue de préconiser pour le moment quatre jours sur cinq. Sur cette base de deux jours de télétravail par semaine, Natixis prévoit une augmentation immédiate, dès cette année de la vacance des bureaux en Île-de-France de 400.000 m2.
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Vacance aggravée par la crise économique et les destructions d’emplois dans le tertiaire, qui vont “libérer” 1,3 million de mètres carrés supplémentaires. Au total, ce sont donc près de 2 millions de mètres carrés qui vont revenir sur le marché, et augmenter encore le volume des bureaux vides, qui atteint déjà 4 millions de mètres carrés en région parisienne (pour un parc de 54,5 millions de mètres carrés selon l’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise). L’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF), sur les mêmes bases (moins de la moitié des entreprises qui adoptent deux jours de télétravail) arrive à des résultats proches: un recul des besoins de 27%. Soit plus de 3 millions de mètres carrés.
Développement de nouveaux usages
Les investisseurs sont hésitants, les locataires menacent de déménager et négocient des baisses de loyer. Le propriétaires qui voient la masse des bureaux vides augmenter, se désespèrent. “Dans les territoires affichant des taux de vacance en augmentation où nombre d’actifs n’ont pas trouvé d’acquéreur, on note une certaine inquiétude. Certains devront évoluer vers d’autres usages: résidentiel, coliving, résidences gérées…”, reconnait Olivier Ambrosiali directeur de BNP Paribas Real Estate Transaction France. L’île-de-France connaît un fort déficit en logements: c’est l’occasion de rééquilibrer la balance en faveur du logement.
Ce sera d’autant plus facile que “la Loi Elan de 2018 a déjà beaucoup fait”, comme le soulignait la semaine dernière la ministre déléguée au Logement Emmanuelle Wargon, pour faciliter cette transformation, en assouplissant les réglementations et en accordant des droits à construire supplémentaires (30%) en cas de transformation. La ministre a aussi annoncé un recensement des immeubles pouvant faire l’objet de transformation et un travail supplémentaire pour “clarifier le modèle économique” de ces opérations et en simplifier davantage encore la réglementation.
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Emmanuelle Wargon, la ministre déléguée au Logement veut recenser les immeubles pouvant faire l’objet de transformation (crédit photo: Ludovic Marin).
Action Logement: 1,2 milliard d’euros injectés dans la transformation
Jusqu’alors, toutes les transformations étaient le fruit d’une volonté publique. Comme celle, par la régie de la ville de Paris, la RIVP, de l’ancienne Ecole Nationale Télécom ParisTech en 520 logements. Comme aussi, la signature en 2018 d’un engagement à transformer 500.000 mètres carrés de bureaux vides en logements d’ici à 2022 en Île-de-France par dix acteurs de l’immobilier, sous l’égide de Julien Denormandie, alors secrétaire d’Etat à la Cohésion des territoires. Des objectifs qui n’avaient pas été atteints et qui paraissaient même irréalistes… jusqu’à l’arrivée du Covid.
La pandémie a donné un coup d’accélérateur à cette initiative. En témoigne l’accélération des projets d’Action Logement, qui a prévu d’y consacrer 1,2 milliard d’euros en trois ans. “Aujourd’hui, nous avons déjà concrétisé la signature d’une dizaine de projets qui représentent 1.500 logements”, explique Alexandre Chirier, directeur de la toute nouvelle foncière du groupe. Pour lui, la crise sanitaire va pousser les entreprises à réduire leurs besoins permettant la création de 6.000 à 8.000 logements supplémentaires par an en Île-de-France.
Loger les télétravailleurs de passage
Il y a un “alignement des planètes” explique Joachim Azan, le président de Novaxia: “La construction de logements neufs est en berne, il y a pénurie, alors que la crise sanitaire pose la question des bureaux vides ou obsolètes”. Son groupe, appuyé par des assureurs, a créé un fonds de transformation d’immeubles, qui investira 1 milliard d’euros sur trois ans pour la création de 4.000 logements.
Si les planètes sont alignées, c’est aussi, “que les rendements du bureau et du résidentiel convergent à nouveau”, indique Xavier Lépine, président de l’IEIF. C’est un phénomène réellement nouveau, explique-t-il, car “l’efficacité économique des deux est désormais comparable et des capitaux peuvent s’investir dans le logement sans sacrifice de rendement”. Les foncières s’intéressent de plus en plus à ce marché jusqu’alors négligé. “Dès l’apparition de la crise sanitaire, nous avons voulu revenir sur le marché du logement, auquel nous croyons depuis longtemps. Cette classe d’actifs présente un risque moins élevé que le bureau, tout en proposant des rendements équivalents”, explique Thierry Herrmann, codirigeant de Herrmann Frères & Fils.
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Il y a quelques semaines, l’investisseur et promoteur montpelliérain Clemium, vient par exemple d’acquérir un immeuble rue de Douai dans le IXème arrondissement de la capitale. Le bâtiment de 900 mètres carrés va être transformé, mais avec un regard très “post-Covid” et une mixité accrue des usages. “Nous réfléchissons à des projets pouvant accueillir des bureaux, mais aussi des logements dédiés aux collaborateurs des entreprises locataires, qui ne résident plus à Paris et sont en télétravail”, explique Jason Maurel, fondateur de Clemium.