« Le Rwanda semble plus attrayant que le Royaume-Uni ». Par ce titre provocateur, Mark Dowding, chef de l’investissement chez BlueBay Asset Management, veut attirer l’attention sur le sous-investissement dans les pays émergents tout en critiquant les politiques au pouvoir outre-Manche. Depuis ses bureaux localisés dans le quartier chic de Mayfair à Londres, tout près de Buckingham Palace, Mark Dowding estime que, en prévision d’un hiver très froid par manque de chauffage, la ministre de l’Intérieur de Boris Johnson, Priti Patel, « ferait mieux d’offrir des vacances gratuites sous le soleil africain aux citoyens âgés vulnérables plutôt que de payer des vols et des hôtels pour rapatrier les immigrants illégaux au Rwanda. » Après tout, « les vols et les hôtels sont déjà payés. »
Au Royaume-Uni, le gouvernement a mis en garde contre des coupures de courant pour les particuliers et les entreprises après Noël, « tout dépendra de la météo que l’hiver décidera d’apporter. Beaucoup espèrent un temps doux, humide et venteux, afin que l’énergie éolienne puisse fonctionner au maximum. Cependant, si les conditions sont sèches, froides, sans vent, il semble que les réserves de gaz seront rapidement épuisées, ce qui laissera, dans le cas du Royaume-Uni (qui a intelligemment décidé de supprimer toute capacité de stockage de gaz il y a quelques années), le pays au sort de la bonne fortune. Bien sûr, le charbon offrirait une solution à court terme, mais avec ceux qui sont au pouvoir, incapables de penser avec plus de deux jours d’avance, il semble trop optimiste de présumer qu’il y aura eu beaucoup de planification. »
Outre-Manche, où l’économie s’est contractée de 0,1% au deuxième trimestre, la récession est imminente, a d’ores et déjà prévenu la banque centrale du pays. A cause de la flambée des prix de l’énergie, la Banque d’Angleterre anticipe une contraction du PIB tous les trimestres à partir du quatrième jusqu’à la fin 2023, après un timide rebond de l’économie à l’automne. Une très forte hausse des tarifs de l’électricité et du gaz doit intervenir en octobre. Sans intervention des pouvoirs publics, la facture des Britanniques pourrait augmenter de 80%, selon les calculs du cabinet de consulting Cornwall Insight, spécialiste des marchés de l’énergie. « L’attention se porte actuellement sur diverses mesures de soutien fiscal, visant à protéger les consommateurs contre le plus gros du choc. Pourtant, il semble que ces mesures ne feront qu’atténuer la récession imminente, plutôt que de l’éviter », craint Mark Dowding. La canicule et la sécheresse en Europe « aggravent la crise énergétique en ayant un impact sur la production d’hydroélectricité, de sorte que la pression sur les prix du gaz ne semble guère vouloir s’atténuer. »
Cap sur l’Afrique du Sud et le Brésil
L’inflation pourrait, selon la Banque d’Angleterre, atteindre un pic à plus de 13% en octobre. En juin, en ressortant à +9,4% sur un an, elle avait déjà atteint son niveau le plus élevé depuis 40 ans. L’augmentation des prix à la consommation n’a pas fini de rogner le pouvoir d’achat des Britanniques à l’heure où, à l’inverse, la Bourse croit que le pire est passé aux Etats-Unis. « Cette semaine, le rapport sur l’inflation pour le mois de juillet a contribué à alimenter l’espoir d’un pic de l’inflation et d’un pivot de la politique de la Fed [la Réserve fédérale américaine, la banque centrale du pays] dans les mois à venir, soutenant ainsi les actifs à risque, constate-t-on chez BlueBay Asset Management. Toutefois, l’inflation globale reste à 8,5% [après +9,1% en juin], et les prix hors éléments volatils [retraités notamment de l’énergie et de l’alimentation] à 5,9%. »
Aussi, pour le gestionnaire européen, l’un des plus importants du continent, « il est peu probable que l’IPC de base descende bien en dessous de 5% d’ici à la fin de l’année et l’inflation ne pourra revenir à des niveaux permettant au comité de politique monétaire de se sentir plus à l’aise avec les perspectives que vers la fin 2023. Par conséquent, nous pensons qu’il est encore prématuré d’envisager des baisses de taux l’année prochaine », surtout que l’économie américaine reste « en bonne forme », comme en témoignent les derniers chiffres de l’emploi (les Etats-Unis ont créé plus de 500.000 emplois en juillet, soit davantage que les mois précédents). Mark Dowding continue de croire que les rendements des obligations souveraines à 10 ans des Etats-Unis dépasseront durablement les 3% dans les mois à venir, ce qui rendra relativement moins attractifs les actifs à risque comme les actions. « Ayant eu un biais modérément long sur les actifs à risque au cours des deux derniers mois, nous sommes maintenant enclins à réduire l’exposition. »
Il recommande au contraire d’être constructif sur les marchés émergents, « sous-investis » et qui devraient à leur tour profiter de l’apaisement des tensions inflationnistes aux Etats-Unis (ces pays empruntent en dollars, les hausses de taux ont renchéri le billet vert et donc leur dette). Tous les pays en développement n’ayant pas les mêmes fondamentaux, il est important d’être sélectif. Lui recommande l’Afrique du Sud et le Brésil, tout en soulignant les vulnérabilités de la Turquie et de l’Afrique du Nord (qui souffre beaucoup de l’envolée des prix de la nourriture).