Ces entreprises qui risquent la faillite à cause des assureurs-crédit

Avec le Covid-19  les entreprises pouvaient disparaître faute d’activité tandis qu’elles devaient continuer à payer leurs charges d’exploitation courantes. Prenant la mesure du risque, l’Etat a su immédiatement réagir avec notamment le financement du chômage partiel et la suspension des charges sociales tout en mettant en place le dispositif des PGE (prêts garantis par l’Etat) permettant de financer à hauteur de 300 milliards d’euros  la “perte d’exploitation Covid”  subie par les entreprises pendant le confinement.

Risque de surendettement

Certes, le financement d’une perte d’exploitation par de la dette crée un risque de surendettement pour les entreprises. Ce dispositif de crise est néanmoins judicieux. On sait gérer une crise de la dette dès lors que l’exploitation est viable. En revanche, l’incapacité de financer l’exploitation entraîne la mort de l’entreprise, la perte de ses emplois et de ses savoir-faire, sans compter les dommages collatéraux sur ses fournisseurs, avec à la clef un risque de récession majeure et de perte d’indépendance économique pour le pays. Cependant ces arbitrages et tous ces efforts pourraient être vains. Si le dispositif de crise mis en place sécurise la période Covid, il ne sécurise pas l’après-Covid et les besoins de financement court-terme de l’exploitation, indispensables à la survie des entreprises.

Ces besoins naissent du décalage de trésorerie entre l’encaissement de ses factures (généralement 45-60 jours fin de mois) et le décaissement de ses propres dépenses (comme les salaires, qu’elle paye pratiquement comptant, etc..). Ce décalage correspond en moyenne à 1 à 2 mois de chiffre d’affaires, ce qui est considérable. Si l’entreprise ne peut financer ce décalage, elle se retrouve dans l’incapacité de payer ses fournisseurs et fait faillite (bien que ses ventes soient bonnes).

Le crédit inter-entreprise est indispensable

Avec 700 milliards d’euros, le crédit inter-entreprises (délais de paiement accordés par les fournisseurs) est le principal moyen de financement du décalage de trésorerie en France. En garantissant le paiement des fournisseurs à l’échéance à hauteur de 200 milliards, les assureurs-crédit introduisent de la confiance dans le système et jouent un rôle clef dans le maintien du crédit inter-entreprises. Lorsqu’une entreprise perd son assurance-crédit, la confiance disparaît, elle perd immédiatement son crédit fournisseur, se retrouve dans l’impossibilité de financer son décalage de trésorerie et dans une situation pouvant la mener à faire faillite.

Le retrait catastrophique des assureurs-crédit

Or, les assureurs-crédit sont en train, en ce moment même, de dénoncer ou de réduire très fortement leurs couvertures, considérant que leur risque n’est pas couvert suffisamment, puisque non inclus dans l’enveloppe PGE (contrairement à ce qui est fait en Allemagne).

Ce retrait survient au pire moment. Le décalage de trésorerie des entreprises augmente avec le redémarrage de leur activité : elles doivent immédiatement acheter plus pour produire plus, alors qu’elles n’encaissent le fruit de leur production que 2 mois après. Or, selon les prévisions, avec la sortie du confinement, l’activité devrait rapidement passer de 65% à 80/90 % de PIB mensuel, ce qui va engendrer une augmentation considérable des besoins de financement de l’exploitation, et donc un risque accru de faillites si le crédit inter-entreprises ne suit pas et ce, alors même que l’activité serait en train de revenir progressivement vers un niveau normal.

Avec le retrait des assureurs-crédit, un nombre très élevé d’entreprises, qui ont besoin de régler leurs fournisseurs à 45 ou 60 jours pour financer leur activité, ne pourront plus financer leurs besoins de trésorerie, et se trouveront en état de cessation des paiements, avec comme effet pour la Collectivité non seulement des licenciements massifs, mais aussi la perte de milliards d’Euros de PGE dont l’Etat devra payer 90%.

L’efficacité des PGE mise en cause

Ce retrait supprime les effets des PGE ayant été éventuellement accordés. En effet, ces PGE sont accordés par les banques à une entreprise, sur la base de ses bilans et comptes d’exploitation révisés et en fonction de sa capacité de remboursement à la date à laquelle l’octroi d’un PGE a été demandé. Ils n’anticipent pas l’augmentation des besoins de financement court-terme découlant de la perte du crédit-interentreprises et, partant de là, deviennent insuffisants à assurer la pérennité de l’entreprise qui perd sa couverture d’assurance-crédit.

Un risque à 40 milliards

Les enjeux pour les finances publiques sont réels : un taux d’appel de la garantie de seulement 15% sur 300 milliards garantis à 90% représenterait environ 40 milliards, soit l’équivalent d’une année de recettes fiscales au titre de l’impôt sur les sociétés. Sans compter l’incidence de ces défauts sur le bilan des banques qui nécessiterait probablement, à terme, une recapitalisation de celles-ci par l’État.

L’enjeu est considérable. Si la sécurisation du crédit-interentreprises n’est pas assurée, nous risquons de cumuler une crise insoluble des entreprises, une crise de la dette, une crise du système bancaire, une récession et un chômage massif.  Le dispositif CAP/CAP+ réactivé par l’Etat – qui date de 2008 – n’apporte pas une réponse à la hauteur des enjeux de 2020. Ce dispositif permet toujours aux assureurs-crédit de réduire ou de supprimer leurs garanties ; l’Etat apportant ensuite des garanties au cas par cas.

Augmenter le pouvoir du juge des entreprises

Il ne sert à rien de peser sur les banques pour qu’elles maintiennent leurs financements court-terme si la principale source de financement de l’exploitation disparaît. Il est donc absolument fondamental de changer radicalement le dispositif pour que les garanties soient maintenues, à minima jusqu’au 31 décembre 2020 ; voire, donner au juge des entreprises en difficulté le pouvoir de maintenir les assurances en cours, au même titre qu’il peut interdire la dénonciation des encours et octroyer des délais de paiement. Les entreprises pourront ainsi conserver la confiance de leurs fournisseurs… et rembourser leur PGE. Une décision en ce sens représenterait, au final, une sérieuse économie pour l’Etat et la collectivité.

Il est urgent d’intervenir avant que la baisse drastique du crédit inter-entreprises ne nécessite de nouveaux prêts garantis par l’Etat pour couvrir les besoins en fonds de roulement des entreprises. 

Par le think tank de l’Association pour le Retournement des Entreprises (ARE), avec comme signataires par ordre alphabétique :

Jean-Louis Detry, associé, Vermeer Capital;  Clotilde Delemazure, conseil financier Prévention & Restructuration, associée chez Grant Thornton; Ellen Delzant, avocate associée, Schultze & Braun GmbH Rechtsanwaltsgesellschaft; Emmanuel Drai, avocat associé offre Prévention & Restructuration, Simon Associés; Helène Dubly, associée offre factoring, Eight Advisory; Thierry Grimauxassocié, Management de Transition, Valtus; Gilles Grinal, avocat associé, GFK avocats; Marie-Laure Tuffal Quidet, affaires spéciales, banque Crédit agricole Ile de France. 

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