Chypre à la merci d’Israël – et des USA ? – pour rentabiliser son usine de liquéfaction de gaz

Pétrole et gaz, le réel enjeu lié à la situation actuelle de  Chypre ?

Si nous avions  d’ores et déjà laissé entendre ici-même que tel pourrait  bien être les cas, les faits semblent nous donner un peu plus raison chaque jour.

Alors que Moscou et Nicosie pourraient être tentés  de négocier l’octroi d’une aide financière russe en contrepartie de l’attribution de licences  au large des côtes chypriotes  – les champs de Leviathan et de Tamar  pouvant renfermer des ressources en hydrocarbures de grande ampleur –  c’est  au tour d’Israël  de s’introduire dans les discussions.  Et des Etats-Unis, via l’intermédiaire d’Israël.

Rappelons tout d’abord qu’en  décembre 2010 un accord a été signé entre Israël et Chypre en vue de faciliter et de poursuivre les recherches off-shore d’hydrocarbures – de part et d’autre – dans la partie orientale de la Méditerranée … de gigantesques réserves de gaz ayant été alors découvertes dans la zone. Désormais, selon les contrôles de la commission gouvernementale israélienne mise en place pour gérer un fonds d’exploitation des ventes, les recettes prévues des gisements « Léviathan », « Tamar » et « Dalit » se monteraient à 100 voire à 130 milliards de dollars jusqu’en 2040.

Le groupe américain Noble Energy, alors principal opérateur du site indiqauit alors pour sa part que  les réserves du gisement offshore de gaz naturel au large d’Israël baptisé Léviathan  étaient estimées à 450 milliards de m3.

« Cette découverte fait potentiellement d’Israël un pays exportateur de gaz naturel », avait alors souligné David Stover, haut dirigeant de Noble Energy, société basé à Houston, Texas. Confirmant ainsi les propos du le ministre israélien des Infrastructures nationales Uzi Landau. Lequel avait affirmé qu’ Israël pourrait devenir un exportateur de gaz … vers l’Europe … au grand dam de la Russie.  « Nous sommes d’ailleurs prêts à collaborer à un tel projet avec des investisseurs étrangers, mais aussi avec la Grèce et Chypre« , avait-t-il même précisé.

–  Une usine de liquéfaction pour le moins stratégique

Mais si désormais, Charles Ellinas, PDG de la Compagnie nationale d’hydrocarbures chypriote,  affirme  que la situation économique de Chypre « n’affecte pas le développement » du champ gazier, les sources d’approvisionnement de l’usine de liquéfaction qui serait construite à terme  sur le territoire chypriote pourraient bien changer la donne. Constituant même un enjeu de taille dans la bataille que mènent actuellement majors pétrolières russes, européennes et américaines pour  tenter de rafler un maximum de licences d’explorations dans les gisements off-shores fort prometteurs situés au large de Chypre.

Car, si jusqu’à présent Nicosie tablait  sur l’apport des ressources de gaz  israéliennes pour rentabiliser la construction de cette usine, Israël aurait changé son fusil d’épaule.

L’Etat hébreu envisagerait ainsi  de construire  sa propre usine de liquéfaction, voire de faire transiter son gaz  via pipeline  à travers la Turquie.

Ces dernières semaines, Israël s’est rapproché d’Ankara de manière assez inattendue, présentant ses excuses pour la mort de neuf Turcs lors de l’arraisonnement en 2010 d’une flottille brisant le blocus de l’enclave palestinienne de Gaza. Fortement incité par les Etats-Unis à agir dans ce sens ..

Or, pour  Chypre, l’absence  des apports gaziers d’Israël pour alimenter l’usine la contraint à attendre que de nouvelles réserves soient confirmées. Rentabilité oblige. Or, l’Etat chypriote a un besoin urgent de ressources financières …

– Quand les majors pétrolières convoitent les gisements gaziers au large de Chypre

Rappelons également  qu’en mai 2012, dix consortiums et cinq groupes pétroliers, dont le français Total, le malaisien Petronas et l’américain ATP s’étaient porté candidats dans le cadre d’enchères portant sur 12 blocs des 13 blocs d’exploration pétrolière et gazière au large de Chypre.

En octobre 2012, le gouvernement chypriote avait annoncé avoir accordé quatre licences d’exploration de gaz dans ses eaux territoriales, dont une au groupe pétrolier français Total et une autre à un consortium franco-russe.

Mais en décembre dernier, le porte-parole du gouvernement Stefanos Stefanou, avait indiqué que les négociations avec les candidats retenus pour le bloc 9 – un consortium alliant la branche ENP de Total et le russe Novatec – avaient cessé. « Le gouvernement a décidé de mettre fin aux négociations directes car elles se sont avérées insatisfaisantes », avait alors ajouté M. Stefanou sans donner de plus amples détails. Ajoutant toutefois que les autorités allaient désormais négocier l’attribution du bloc 9 avec un consortium établi entre le groupe pétrolier italien ENI et le sud-Coréen Kogas, lequel consortium s’était vu attribuer les blocs 2 et 3 en octobre dernier.

Hasard de calendrier ? A la mi-janvier, quelques jours avant que l’agence de notation financière Fitch abaisse la note de Chypre de deux crans supplémentaires, était conclu l’accord entre Chypre, ENI et Kogas.

La compagnie française Total demeure quant à elle toujours dans la course en ce qui concerne l’exploitation du bloc 11. Le gouvernement ayant parallèlement décidé de négocier avec elle l’attribution du bloc 10.

Au début du mois de janvier, les consortiums ENI/Kogas et le français Total ont proposé d’unir leurs forces pour extraire le gaz dans les 3 années qui suivront la signature de leurs licences d’exploration. Ce qui avait fait dire au ministre du commerce chypriote, Neoclis Sylikiotis, que l’approche de ces deux compagnies en terme d’exploration des blocks off shore au large de Chypre était de loin plus « agressive » que celle de l’américain Noble Energy sur le Bloc 12. Message  à peine voilée à destination des Etats-Unis pour leur laisser entendre qu’ils devront se battre pour obtenir d’autres licences …

– Le lobby bancaire US s’attend à ce que Chypre demande des prêts supplémentaires

Précisons enfin que  dans un rapport publié à la mi-mars, l’Institut de la finance internationale, lobby bancaire très influent, basé à Washington,  avait indiqué que les pertes très importantes que devront supporter les déposants et les impacts du plan sur le secteur financier chypriote pourraient conduire à une récession de près de 20% entre 2013 et 2015.

Le lobby bancaire considérant également qu’un nouveau plan d’aide pourrait à terme s’avérer nécessaire, obligeant Chypre à recourir à de nouveaux prêts …. et à se tourner vers le lobby bancaire US et notamment Goldman Sachs ? Allez savoir …

L’IIF avait par ailleurs indiqué que les créanciers de la troïka seraient bientôt les principaux détenteurs de la dette chypriote, une position leur garantissant un statut préférentiel en cas de faillite … et qui devrait – selon lui – limiter le nombre d’investisseurs disposés à acquérir de la dette chypriote.

Une manière comme une autre d’attirer la nouvelle brebis galeuse de l’Union européenne vers les banquiers US, tout en tentant de restreindre l’étendu d’éventuelles propositions (voire des prêts ? ) que la Russie pourrait être tentée d’offrir en échanges de licences d’explorations d’hydrocarbures du gisement fort prometteur de Leviathan, située en off-shore au large de l’île chypriote, indiquions-nous d’ores et déjà. Rappelant que d’importants majors pétrolières et non des moindres – telles que ExxonMobil, ConocoPhillips et Chevron – sont également engagées dans la « bataille ».

Désormais, la stratégie des Etats-Unis semble se montrer un peu plus claire chaque jour, la position d’Israël  quant à l’usine de liquéfaction chypriote lui servant désormais de moyen de pressions.

Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com –  14  avril 2013


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