La Russie vient d’enregistrer un excédent historique de sa balance courante grâce à l’envolée des prix de l’énergie. Ce solde record révèle aussi le talon d’Achille de l’économie russe: son extrême dépendance aux exportations en particulier vers l’Europe – un client pas évident à remplacer, détaille l’agence de notation de crédit Scope.
Du jamais-vu depuis la fin de l’ère soviétique: l’excédent de la balance courante de la Russie a bondi à 58,2 milliards de dollars au premier trimestre, un montant historique équivalent à environ 10% des réserves de changes de la Banque centrale de la Fédération de Russie (609 milliards de dollars au 8 avril dernier, avant déduction de la part sous le coup de sanctions ou de mesures de gel).
Cet excédent massif de la balance courante (l’agrégat large de flux monétaires, qui comprend la balance commerciale, la balance des services, celle des transferts courants et celle des revenus) reflète l’envolée des recettes que le pays retire de ses exportations de pétrole et de gaz qui ont -jusqu’ici- largement échappé aux sanctions occidentales.
En l’absence d’une extension à l’énergie des sanctions européennes, la balance courante russe dépasserait largement 200 milliards de dollars cette l’année (contre 120 milliards en 2021) compte tenu d’un côté de l’effondrement des importations et de l’autre de l’envolée de la valeur des exportations d’hydrocarbures. De quoi permettre à la banque centrale de reconstituer une bonne partie des réserves gelées par les sanctions. La Russie devrait rapidement “dé-dollariser” ses réserves et ses relations commerciales en augmentant son exposition au yuan chinois. Son exposition à l’euro devrait toutefois demeurer (en fait environ la moitié de ses exportations vers la Chine se règlent en euros)
Cependant, souligne l’analyste Levon Kameryan, le plein effet des sanctions déjà effectives (avant toute forme d’embargo sur l’énergie) et des retombées du conflit en Ukraine sur le commerce extérieur et sur le marché intérieur ne s’est pas encore fait sentir. Les sanctions prises à ce stade affecte douloureusement le secteur privé, perturbant plus de la moitié des matériels de haute technologie habituellement importés, ainsi qu’une bonne part des importations de machines-outils et d’équipements indispensables pour faire tourner les usines locales. Le retrait de l’accès aux technologies étrangères devrait affaiblir le potentiel de croissance de l’économie russe, que Scope estimait à un niveau modéré déjà avant l’invasion de l’Ukraine (de l’ordre de +1,5 à +2%), sachant qu’une contraction d’au moins 10% est désormais attendue pour cette année.
Un problème d’infrastructures
Par ailleurs, l’Europe accélère ses efforts afin de diversifier son approvisionnement en énergie, ce qui va exacerber les défis qui se posent à l’économie russe du fait de l’absence de mesures fortes pour réduire la dépendance structurelle aux exportations énergétiques. Comme le rappelle Scope, l’Europe est aujourd’hui le principal débouché pour le pétrole et le gaz russe, avec une facture de l’ordre de 100 milliards de dollars en 2021. L’objectif européen de s’émanciper de la Russie d’ici 2030 pourrait bien être accéléré (l’Allemagne vise maintenant une réduction substantielle d’ici 2024) via notamment l’augmentation des importations de GNL (gaz naturel liquéfié).
En parallèle, la Russie va essayer de contrer les mesures européennes en cherchant à approfondir ses relations avec la Chine. Mais substituer complètement un client à un autre ne se fera pas en un claquement de doigts. Pour l’instant, la Russie ne possède tout simplement pas les infrastructures pour rediriger ses exportations de l’ouest vers l’est. Le pays compte huit pipelines permettant d’expédier environ 220 milliards de mètres cubes par an vers l’Europe. C’est pratiquement six fois plus que la capacité de l’unique pipeline -Power of Siberia- actuellement branché vers la Chine, et qui n’atteindra pas sa pleine capacité avant plusieurs années (il est prévu un débit de 38 milliards de mètres cubes par an d’ici 2025). La Russie envisage la construction d’un deuxième, Power of Siberia 2, lequel pourrait débiter jusqu’à 50 milliards de mètres cubes par an, mais il est peu probable que ce projet aboutisse avant 2030.