La médecine sans médecin ? Le titre du livre du professeur Guy Vallancien, paru en 2015 chez Gallimard, n’a rien perdu de son actualité : l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la santé n’est plus un horizon lointain. La technologie de Cardiologs détecte ainsi les anomalies d’une courbe d’électrocardiogramme, et l’interprétation d’une mammographie devrait être plus fiable grâce aux algorithmes de Therapixel, bientôt testés dans les principaux centres anticancer. « Le débat ne porte plus sur la disparition des médecins », souligne toutefois David Gruson, auteur de La Machine, le médecin et moi et fondateur de l’initiative Ethik-IA. Aujourd’hui, les questions se concentrent plutôt sur la redéfinition de leur rôle.
Révolution du diagnostic
Les métiers du diagnostic seront les premiers touchés. « Aujourd’hui, la technologie d’IA la plus aboutie est l’apprentissage machine par la reconnaissance d’images, explique David Gruson, qui anticipe dorénavant l’arrivée de « l’IA apprenante », capable de déduire des éléments de prédiction à partir de ses apprentissages antérieurs. « Tous les métiers ayant recours à l’imagerie seront impactés : radiologues, mais aussi cardiologues, ORL, dermatologues…, précise Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), en charge du numérique. Le radiologue se contentera de confirmer humainement un diagnostic. »
Dans ces spécialités en situation de pénurie, l’IA devrait en définitive libérer du temps médical et apporter une réponse au problème des déserts médicaux. Dans une note intitulée « IA et emploi en santé, quoi de neuf docteur ? », l’Institut Montaigne donne l’exemple de l’ophtalmologie, où le délai d’attente pour un rendez-vous varie entre 77 et 100 jours. En automatisant le dépistage des pathologies rétiniennes, obligatoire avant l’achat de lunettes, l’IA pourrait aider à réduire ces délais.
Soutenu par des outils d’aide au pilotage, le médecin pourra se concentrer sur son rôle de thérapeute : faire l’annonce du diagnostic, choisir un traitement, le faire accepter par le malade. « Toute la partie de relation avec le patient restera, souligne le docteur Philippe Presles, responsable de la recherche en santé à Axa. Le robot empathique n’est pas né. »
Les métiers de support aux soins devraient en revanche être touchés : administration, secrétariat médical, gestion du flux de patients à l’hôpital, logistique, transport sanitaire… L’Institut Montaigne a fait le calcul : entre 40.000 et 80.000 postes pourraient disparaître sous l’effet de la robotisation. « L’enjeu est d’accompagner cette mutation et d’utiliser les économies dégagées pour améliorer la qualité de vie des soignants et investir dans l’innovation thérapeutique », juge David Gruson.
THERAPIXEL SÉCURISE LA LECTURE DES MAMMOGRAPHIES
«Je vois l’intelligence artificielle comme un moyen de reconcentrer l’intelligence humaine aux bons endroits », explique Pierre Fillard, cofondateur de Therapixel. Sa start-up a développé un algorithme capable de détecter un peu plus précocement un problème sur une mammographie, mais aussi de réduire les fausses alertes – ces « faux négatifs » qui amènent le radiologue à demander inutilement des examens complémentaires stressants, coûteux et, dans le cas d’une biopsie, intrusifs. L’outil développé par Therapixel permettra au radiologue de passer plus vite sur les cas simples, pour se concentrer sur les plus complexes. Bientôt testé dans plusieurs grands hôpitaux, le logiciel n’aura « aucun impact sur les métiers de la santé », juge Pierre Fillard. Au contraire, il devrait « rendre de l’égalité entre les patientes » en donnant aux radiologues ne pratiquant que rarement la mammographie – les plus susceptibles aujourd’hui de commettre des erreurs dans le dépistage – une performance équivalente à celle des radiologues très experts.