Tout en reprenant le raisonnement du Tribunal de Grande Instance, elle estime que ce n’est pas « sans pertinence que la société appelante soutient que la contrefaçon ne serait pas par essence une action délictuelle mais pourrait aussi résulter de l’inexécution d’un contrat. » et qu’aucun texte français « relatifs à la contrefaçon ne dispose expressément que celle-ci ne s’applique que lorsque les parties ne sont pas liées par un contrat. ».
Dans ces conditions, la Cour d’Appel estime justifié de poser auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne la question préjudicielle suivante :
« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code-source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il : une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun ? ».
Une réponse à cette question sera particulièrement bienvenue dans la mesure où elle soulève un débat dont la solution ne s’impose pas avec évidence en jurisprudence.
En effet, on peut citer, à titre d’exemple, deux décisions, rendues par les juges du fond sur la question du régime juridique applicable en matière de violation d’une licence de logiciel en droit d’auteur :
dans la première, le Tribunal de Grande Instance de Paris1 reconnait que « le litige soumis au tribunal n’est pas un litige de contrefaçon mais bien un litige portant sur le périmètre du contrat et sur sa bonne ou mauvaise exécution » et affirme que « la sanction d’une inexécution ou mauvaise exécution du contrat par l’une des parties relève de la seule responsabilité contractuelle ».
Le Tribunal statuant sur une utilisation non autorisée de l’application logicielle « Purchasing » par le défendeur (il s’agissait donc d’un dépassement des droits concédés par le demandeur), rejette l’action en contrefaçon intentée et retient la responsabilité contractuelle de ce dernier.
dans la seconde, la Cour d’Appel de Versailles2 estime que « Considérant que toute utilisation d’un logiciel sans l’autorisation du titulaire des droits, constitue une contrefaçon; qu’en l’espèce, les logiciels ne peuvent être utilisés que, selon les termes du contrat, soit personnellement par la société X et pour un nombre de huit utilisateurs, de sorte que son usage pour un service bureau destiné à de nouvelles entités non spécifiées lors de la conclusion du contrat caractérise une utilisation au-delà des droits cédés et un acte de contrefaçon ».
La Cour d’Appel affirme que le dépassement du périmètre contractuel de la licence d’utilisation des logiciels en cause constitue un acte de contrefaçon, alors que l’appelant soutenait que la responsabilité contractuelle devait s’appliquer.
Force est de constater le caractère incertain de la jurisprudence qui s’évertue à appliquer, selon une qualification unitaire, tantôt le régime de la contrefaçon, tantôt le régime de la responsabilité contractuelle, à des actes de dépassement du périmètre contractuel d’une licence d’utilisation d’un logiciel.
Or, il est clair que la partie s’estimant victime de la violation de la licence concédée au licencié aura bien souvent intérêt à se prévaloir du régime spécifique de la contrefaçon, conçu pour protéger de manière efficace l’auteur (notamment, par la possibilité de procéder à des saisies-contrefaçon, à un droit d’information ou encore de réclamer, à titre de dommages-intérêts, les bénéfices réalisés par le contrefacteur).
De ce fait, il pourrait être suggéré de résoudre ces hésitations prétoriennes en préconisant une qualification distributive des deux régimes, dans le cadre d’un raisonnement a pari avec le droit des marques ; ainsi, dans une telle hypothèse, l’action en contrefaçon pourrait être engagée uniquement lorsque la violation de la licence porte sur « sa durée, la forme couverte par l’enregistrement sous laquelle la marque peut être utilisée, la nature des produits ou des services pour lesquels la licence est octroyée, le territoire sur lequel la marque peut être apposée ou la qualité des produits fabriqués ou des services fournis par le licencié », à défaut, seule l’action en responsabilité contractuelle serait admise.
Néanmoins, une telle disposition, spécifique au droit des marques, fait défaut en droit d’auteur qui envisage dans les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle le concernant seulement la « cession » et non la licence des droits en cause.
La question posée par la Cour d’Appel de Paris à la CJUE revêt donc une acuité toute particulière tant il serait souhaitable que la réponse apportée permette de mettre fin aux errements de la jurisprudence en la matière.