“On ne sait pas de quoi sera fait le futur: il est essentiel de trouver rapidement un traitement efficace contre le SARS-CoV-2.” Le Professeur Xavier Nassif est médecin et directeur général de l’Institut pasteur de Lille (IPL). En mars 2021, ses équipes composées de chercheurs du CNRS, de l’Inserm, de l’université et du CHU de Lille se sont associées à la start-up Apteeus pour travailler au repositionnement d’un médicament contre le Covid-19. “Le repositionnement moléculaire consiste à utiliser un médicament que l’on connaît déjà, et que l’on donne chez l’Homme pour traiter une maladie afin d’en soigner une autre. Donc ici le Covid-19”, explique le scientifique.
2.000 molécules passées au crible
Pour trouver cette perle rare, les chercheurs ont testé plus de 2.000 molécules. Et l’une d’entre elles, le clofoctol, s’est révélée particulièrement efficace contre le SARS-CoV-2. Cette substance utilisée jusqu’au début des années 2000 dans le traitement des rhino-pharyngites possède déjà les autorisations de mise sur le marché bien qu’elle en ait été retirée en 2005. Non pas en raison d’éventuels effets secondaires, mais plutôt parce que son action paraissait très limitée. “Les rhino-pharyngites étant des maladies bénignes, le clofoctol n’avait pas d’intérêt médical fort: il a donc été retiré du marché”, suppose le professeur Nassif.
Mais la donne est en train de changer. Après avoir fait ses preuves contre le SARS-CoV-2 sur des modèles animaux, le clofoctol va désormais être testé chez l’être humain. “L’essai clinique a débuté dans les Hauts-de-France le 14 juin [il est financé majoritairement par des dons à hauteur de 6 millions d’euros, dont 5 versés par la fondation LVMH, actionnaire du groupe Challenges, NDLR]. Il implique plusieurs centaines de patients, tous de plus de 50 ans, non vaccinés et ayant contracté le Covid récemment, reprend le directeur général de l’IPL. C’est un essai en double aveugle avec un groupe placebo: un groupe recevra le médicament pendant 5 jours et un autre le placebo, mais sans le savoir. On regardera ensuite le nombre d’aggravations dans les deux groupes pour savoir si le clofoctol permet bien de guérir le Covid. Le vaccin a quelque peu compliqué notre recherche de volontaires, et on s’en réjouit, mais il reste toujours des personnes de plus de 50 ans qui ne se sont pas encore vaccinées ou chez qui la vaccination fonctionne mal.”
C’est le cas des sujets dits immunodéprimés. Atteints de cancers ou encore transplantés, ils sont mal, voire pas protégés par la vaccination car leurs organismes ne développent que très peu de défenses immunitaires. Par ailleurs, ces patients sont plus à risque de développer une forme grave de la maladie. Pouvoir les guérir lorsqu’ils contractent le virus est donc essentiel. Et cela avant une possible hospitalisation pour éviter une saturation des services hospitaliers.
“Compléter à plus court terme l’arsenal technologique de lutte contre le virus”
La course au traitement n’est pas en compétition avec celle des vaccins: elle lui est plutôt complémentaire. Car vacciner la population mondiale prendra du temps et nécessite une solidarité entre les pays qu’incarne le dispositif Covax. L’objectif de ce programme animé par l’OMS: assurer une accessibilité universelle aux vaccins et vacciner 20% de la population de chaque pays membre d’ici fin 2021. Ambitieux mais insuffisant pour atteindre l’immunité collective, et délicat à mettre en place. Car la production de vaccins nécessite des matières premières parfois compliquées à obtenir, mais aussi une technologie et un savoir-faire très particulier.
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“Les différentes phases cliniques se font sur des cohortes de plusieurs milliers de sujets dont le suivi demande beaucoup de ressources humaines. Tout cela coûte cher. Or, si le virus mute au point d’échapper aux vaccins, il faudra recommencer une partie du processus, ce qui peut aussi prendre du temps. La recherche d’un traitement vise à apporter une réponse qui peut compléter à plus court terme l’arsenal technologique de lutte contre le virus”, insiste Bruno Versaevel, chercheur en économie industrielle et spécialisé dans les enjeux de la recherche et développement en industrie pharmaceutique.
Ainsi, depuis plus d’un an les équipes du monde entier sont mobilisées sur cette question. “L’écosystème pharmaceutique a commencé par tester le repositionnement de molécules approuvées, car lorsque l’on connaît déjà une molécule on peut la produire plus rapidement en grand nombre. Il est même possible, dans le cas de certaines molécules simples, de mettre en place dans un temps assez court un système de production avec des producteurs de génériques, y compris dans des pays à faible revenu”, note Bruno Versaevel, également professeur d’économie industriel à l’emlyon business school.
Autre avantage du repositionnement, il s’appuie sur des molécules ayant déjà obtenu auprès des autorités de santé les autorisations nécessaires à leur mise sur le marché. Un gain de temps essentiel dans la course contre la montre aujourd’hui engagée contre le virus et ses variants. Mais trouver la perle rare reste exceptionnel. Plusieurs des projets lancés de par le monde pour dénicher une molécule à repositionner n’ont pas abouti. Ainsi les essais cliniques Discovery (France) et Recovery (Royaume-Uni) ont permis d’identifier quelques molécules mais à l’efficacité modérée. “L’Institut Pasteur de Lille a donc choisi de travailler en parallèle sur un antiviral qui ne sera pas un repositionnement mais élaboré spécifiquement contre le SARS-CoV-2” ajoute le Pr Xavier Nassif. Le coup de maître serait de trouver de nouvelles molécules capables de cibler des constituants essentiels et communs des coronavirus: un tel médicament serait l’arme fatale face à toutes futures pandémies causées par cette famille de virus.
Par Joséphine Codron