Une production et des prix divisés par deux: la crise sanitaire a durement touché les pêcheurs. Mais en Bretagne, première région halieutique française, la filière s’est rapidement organisée afin de tenter de stabiliser le marché.
“Le jour du confinement, il a fallu rentrer. C’était la première fois en 27 ans qu’on faisait une marée à zéro euro”. Bruno Charrier, patron-pêcheur, sort de sa cale un torchon sur l’épaule. Alors que ses marins déchargent le poisson à la criée du Guilvinec (Finistère), il raconte: “Pendant 15 jours, on a stoppé l’activité, et depuis qu’on a repris, l’apport est de trop. La semaine dernière, sur 4,8 tonnes de poisson, on a eu 1,1 tonne d’invendus”.
Avec la fermeture des restaurants et des collectivités, la demande a baissé, et la valeur des pêches s’est effondrée. “En ce moment, on vend le poisson en moyenne à 2,7 euros (le kilo), contre 3,5 euros d’habitude. Pour la sole, c’est même 7 euros contre 20 d’habitude”, déplore le pêcheur.
“A peu près toutes les criées françaises ont connu une baisse de leur production et de la valeur de leur production de l’ordre de 50% pendant le confinement”, explique à l’AFP Pascal Le Floc’h, économiste spécialisé dans le secteur maritime et qui a étudié la quarantaine de criées françaises pendant le confinement.
La fermeture des marchés internationaux, notamment espagnol et italien, a aussi contribué, selon lui, à la crise du secteur, notamment en Bretagne, région qui compte le plus de criées avec 13 contre seulement quatre en Méditerranée.
“Les pêcheurs bretons sont beaucoup plus dépendants d’une commercialisation en criées”, analyse l’universitaire. “Ils semblent avoir plus souffert que ceux des autres régions qui sont mieux adaptés à d’autres formes de commercialisation, comme les circuits courts et les ventes avec un contrat, de gré à gré”.
“Nous concentrons 50% de la pêche française et 70% des flux halieutiques français. Quand le marché est instable, ça devient une faiblesse, on ne maîtrise plus”, note Olivier Le Nezet, président du comité régional des pêches de Bretagne et de l’association Breizhmer qui réunit les acteurs de la filière pêche et aquaculture bretonne.
La crise sanitaire a ainsi poussé la filière bretonne à mettre en place dans l’urgence de nouveaux outils à même de mieux réguler le marché.
– “un peu mieux” –
“Tout le monde s’est parlé et a échangé pour voir ce qu’il était possible de faire pour stabiliser le marché”, souligne Olivier Le Nezet. Depuis lundi, un dispositif de prévision des apports permet de mieux réguler offre et demande.
Un outil similaire existe depuis deux ans au niveau national. Baptisé Prevapport, il donne en temps réel les prévisions d’apports sous les criées françaises. Mais, selon les professionnels du secteur, il n’est pas assez précis ni suffisamment alimenté.
“Une prévision à un jour ou à deux jours ce n’est pas suffisant pour les gros acheteurs donc on a mis en place une nouvelle application à l’échelle bretonne qui recense les produits qui seront à vendre demain et après-demain mais aussi ceux qui sont encore dans les cales des navires et qui seront vendus à quatre ou cinq jours”, explique Yves Guirriec, directeur des ports de pêche des Côtes-d’Armor.
“L’analyse est plus fine et la visibilité meilleure”, se félicite Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne, qui s’est engagé à soutenir le dispositif. “Au moins avec cet outil la grande distribution ne pourra pas dire qu’elle ne savait pas qu’il y avait du poisson”, ce qui évitera les achats à l’international, souligne l’élu.
“Les prix étaient très, très mauvais jusqu’à la fin de la semaine dernière. Hier et aujourd’hui (mercredi) ça semblait un peu mieux”, note Jacques Pichon, directeur de l’armement La Houle à Saint-Guénolé, près du Guilvinec.
Le comité régional des pêches de Bretagne, tout comme le comité national, demandent cependant à l’État de continuer à soutenir la filière jusqu’à fin septembre.