par Patrick Vignal
PARIS, 6 décembre (Reuters) – Exhortées à en faire toujours davantage alors que leurs marges de manoeuvre ne cessent de se réduire, les grandes banques centrales n’ont guère d’autre choix que de promettre à des marchés dépendants qu’ils auront leur dose de liquidité.
La Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne, dont les décisions monétaires tomberont respectivement mercredi et jeudi, ne devraient rien annoncer de fracassant dans l’immédiat mais paraissent condamnées à maintenir une posture extrêmement accommodante.
Confrontés à un ralentissement économique qu’alimentent les tensions entre les Etats-Unis et leurs partenaires commerciaux, les instituts d’émission ont ouvert les vannes en grand et auront bien du mal à les refermer.
En ce qui concerne d’éventuels assouplissements supplémentaires dans un avenir proche, les avis divergent.
Pour la BCE, dont la nouvelle présidente, Christine Lagarde, s’apprête à vivre sa première réunion monétaire, l’hypothèse d’un statu quo l’emporte, l’institution de Francfort étant à court de munitions puisque ses taux sont au plancher, et même en territoire négatif pour l’un d’entre eux.
La Fed, elle, est en mode “pause” mais certains pensent qu’elle pourrait encore baisser ses taux l’an prochain si l’environnement macroéconomique le justifiait.
Pictet va même jusqu’à tabler sur quatre baisses de taux de 25 points de base chacune aux Etats-Unis en 2020, un mouvement d’assouplissement qui se prolongerait en 2021 en cas de réélection de Donald Trump, et sur une baisse de taux de la BCE, qui pourrait aussi augmenter ses achats d’actifs.
Les gouvernements et les banques centrales partagent l’objectif de prolonger la croissance à tout prix pour éviter un atterrissage brutal de leur économie, à l’image de ce que fait la Chine depuis des années, explique Christophe Donay, responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique de la société de gestion suisse.
LES BANQUES CENTRALES SE POLITISENT
Cette lecture de la situation actuelle explique l’influence croissante du politique sur les décisions monétaires, qu’elle passe par les appels répétés de Donald Trump à la Fed ou par la nomination à la tête de la BCE de Christine Lagarde, “un animal politique, pas économique”, ajoute-t-il.
Autre évolution préoccupante des banques centrales, les effets grandissants de leurs politiques sur les marchés, dont elles restreignent la liberté, fait valoir pour sa part Christopher Dembik, responsable de l’analyse macroéconomique chez Saxo Bank.
“Sur certains segments, les banques centrales deviennent des teneurs de marché”, écrit-il dans une note avant de souligner qu’environ 80% la part de la dette souveraine allemande est détenue par les instituts d’émission.
La Fed, la BCE et d’autres contribuent à fausser la valorisation et l’allocation des actifs, à étouffer la volatilité et à alimenter la complaisance sur les marchés financiers, estime l’analyste de la banque danoise.
“Toutefois, nous ne pouvons pas vivre sans les interventions des banques centrales parce que cela signifierait des taux plus élevés et une liquidité plus faible, ce qui aurait des conséquences économiques et financières désastreuses dans un monde très endetté”, prolonge Christopher Dembik.
Cet éclairage permet de mieux comprendre les appels répétés des banquiers centraux en faveur d’une relance budgétaire de la part des Etats qui viendrait prendre le relais.
Il renforce en outre la thèse de la “japonisation” des économies occidentales, avec des taux appelés à demeurer durablement bas dans un contexte de croissance molle et d’inflation paresseuse.
LE RISQUE POLITIQUE SOUS-ÉVALUÉ ?
Tout cela n’empêche pas de nombreux gérants et analystes d’être prudemment optimistes pour l’an prochain.
S’ils reconnaissent que les progressions à deux chiffres des actions comme des obligations qui se profilent pour 2019, sauf catastrophe de fin d’année, ont peu de chances de se reproduire, la plupart des intervenants de marché écartent une récession généralisée. Certains prédisent même un léger rebond de la croissance dans un climat restant favorable aux actifs risqués grâce aux injections de liquidité des banques centrales.
Les risques baissiers sont moins prégnants et l’activité manufacturière paraît avoir touché un creux, estime ainsi l’équipe de recherche économique de Barclays, qui a relevé sa prévision de croissance mondiale à 3,3% pour 2020 après 3,1% attendu cette année, avec comme moteur le redémarrage de certaines économies émergentes.
Certains indicateurs macroéconomiques récents ne sont pourtant guère reluisants: l’activité de la zone euro a quasiment stagné et la croissance des services a ralenti aux Etats-Unis en novembre, sans oublier la baisse des commandes et de la production dans l’industrie allemande en octobre.
D’autres indicateurs, cependant, font mieux que résister, notamment les créations d’emplois aux Etats-Unis, qui ont connu en novembre leur plus forte progression depuis 10 mois, ce qui ne peut que conforter la Fed dans sa décision de faire une pause dans la hausse des taux.
Quant au risque politique, il reste bien présent, comme vient de le rappeler Donald Trump en soufflant une nouvelle fois le chaud et le froid sur le front du commerce alors qu’approche la date butoir du 15 décembre pour la mise en oeuvre de nouveaux droits de douane sur quelque 156 milliards de dollars (141 milliards d’euros) de produits chinois.
Du côté du Brexit, rien n’est réglé non plus même si la perspective d’un divorce sans accord paraît s’éloigner et les élections législatives britanniques anticipées de jeudi ne mettront pas un terme au feuilleton.
Très sensible il y a encore quelques mois, ce risque politique est désormais clairement sous-estimé par des marchés complaisants et ne se reflète pas dans les cours des actifs, estiment dans une note les experts macroéconomiques d’Unigestion.
Voir aussi :
LE POINT sur les perspectives de marché 2020 des gérants et analystes
(édité par Marc Angrand)