Les chiffres de l’emploi en France, publiés régulièrement par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), soulèvent des interrogations quant à leur fiabilité. Selon des travaux récents de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une institution de recherche économique reconnue, le taux d’emploi réel pourrait être nettement supérieur aux statistiques officielles, tandis que le taux de chômage serait inférieur aux chiffres communiqués.
Cette remise en question des données de l’Insee, pourtant considérées comme une référence incontestable émanant d’une source indépendante, découle d’un constat surprenant : le nombre de personnes en emploi recensé par l’enquête trimestrielle de l’institut diffère considérablement des données issues des sources administratives. Au quatrième trimestre 2023, l’écart atteignait 1,7 million de personnes, soit un décalage significatif par rapport aux 30,4 millions d’actifs occupés comptabilisés par les services administratifs.
Selon Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, cet écart n’a cessé de se creuser ces dernières années, doublant même depuis 2020 pour devenir “gigantesque” aujourd’hui. Une hypothèse avancée pour expliquer cette divergence serait la sous-représentation des contrats d’apprentissage dans l’enquête emploi de l’Insee, dont le nombre a considérablement augmenté suite à la réforme de 2018 visant à développer cette forme d’emploi.
L’Insee, consciente de cette problématique, admet travailler sur le sujet afin de comprendre les raisons de cet écart statistique. “C’est clairement un sujet, même s’il n’est pas nouveau, et nous travaillons à comprendre pourquoi”, confirme Vladimir Passeron, chef du département de l’emploi et des revenus d’activité de l’institut. Des pistes ont été explorées, telles que l’exclusion des logements non ordinaires (foyers de travailleurs par exemple) de l’enquête, la sous-déclaration des petits emplois ou encore l’incidence des travailleurs frontaliers. Une note de 2019, basée sur les chiffres de 2012, avait déjà listé ces facteurs potentiels, illustrant la complexité du sujet. Une actualisation de cette analyse est attendue cette année, ce qui pourrait permettre d’y voir plus clair.
Les conséquences de cet écart statistique sont notables et soulèvent des questions sur la pertinence des politiques économiques fondées sur ces chiffres. Tout d’abord, le taux d’emploi officiel serait sous-estimé, atteignant en réalité 72,5% selon les calculs de l’OFCE, contre 68,4% annoncé par l’Insee. “C’est imparable”, reconnaît Vladimir Passeron, soulignant que cette différence expliquerait en partie les pertes de productivité observées dans l’économie française depuis la pandémie de Covid-19.
Ensuite, et de manière plus sensible, le taux de chômage pourrait être inférieur aux statistiques officielles. Selon l’OFCE, ce taux s’établirait à 7,1% de la population active, au lieu des 7,5% affichés par l’Insee. Cependant, Vladimir Passeron émet une réserve importante : “À supposer que le nombre de chômeurs ne soit pas lui aussi sous-estimé”, sachant qu’il est impossible de le savoir avec certitude en l’absence de sources de données alternatives fiables.
Cette remise en cause des statistiques officielles de l’emploi en France soulève des interrogations quant à la pertinence des politiques économiques fondées sur ces chiffres. Si les écarts constatés se confirment, les décideurs politiques et les acteurs économiques devront prendre en compte ces nouvelles réalités pour ajuster leurs stratégies et leurs prévisions.
L’actualisation de l’analyse de l’Insee, attendue cette année, sera scrutée de près. Elle pourrait apporter un éclairage supplémentaire sur les raisons de ces divergences statistiques et permettre d’affiner les chiffres de l’emploi en France, enjeu crucial pour l’élaboration de politiques économiques pertinentes et efficaces.