Franck Riboud : “Je ne suis ni Pinault fils ni Lagardère fils”

Très attaché à la figure de son père, Antoine, auquel il a succédé à la tête de Danone en 1996, Frank Riboud cultive depuis une différence parmi les patrons du CAC 40, et pas seulement parce qu’il ne porte pas de cravates et préfère le football à l’opéra. Porteur, quarante ans après sa création, d’un double projet économique et social pour son entreprise, il lui a donné des couleurs internationales.

Voici un extrait des propos qu’il a tenu à Hervé Hamon dans l’ouvrage “Ceux d’en haut” à paraître aux éditions Seuil

“Est-ce que je le mérite, mon pouvoir? C’est ça, la réponse que vous êtes venu chercher, hein? Parce que je porte le même nom que la personne qui me précédait. Savez-vous que cette entreprise, du point de vue du capital, n’est absolument pas familiale (mon père ne possédait rien, pas d’actions)? Le cas de figure classique, zéro légitimité aux yeux des financiers actionnaires puisque je ne suis qu’un sale héritier, et zéro légitimité aux yeux des anticapitalistes puisque je ne suis qu’un sale héritier, eh bien, ça ne colle pas, pas du tout. Les gens qui vous traitent d’héritier estiment que vous avez touché du fric. Je n’ai certes pas à me plaindre là-dessus, mais je ne fais pas partie de cette catégorie-là. Je ne suis ni Pinault fils ni Lagardère fils. Parce que mon père, Antoine, n’était pas comme ça.

Mais j’ai hérité de lui, j’ai hérité des choses plus importantes que l’argent, j’ai hérité d’un comportement, d’une éducation. Les valeurs, ça n’est pas ne pas se gratter le nez, c’est respecter les autres, c’est ne pas se la péter, voilà tout.

“Je n’ai jamais voulu être le patron de Danone. J’y suis entré par accident”

C’est quoi, les valeurs de Danone? Dans cette boîte où toutes les merdes me remontent, c’est moi qui dois décider, qui dois trancher sur les hommes, sur les stratégies, sur les acquisitions, les fermetures d’usines. Mais -ça, c’est peut-être la marque familiale- j’estime que je suis beaucoup plus un entraîneur ou un capitaine d’équipe qu’un patron tout-puissant. La confiance est un placement sûr, un gain de temps. Le but, c’est d’arriver à ce que les décisions soient prises, non par principe d’autorité parce que j’ai plus de galons sur l’épaule, mais par le libre jeu de l’échange, de la divergence ou de la convergence. Les gens viennent vous voir et disent: “Il a une autre façon de penser que nous.” Là, c’est gagné.

Est-ce que je suis le digne successeur d’Antoine? C’est un vocabulaire outrancier, je n’en ai rien à foutre, je n’ai pas voulu l’être. Je suis le dernier enfant, moi, je n’ai jamais voulu être le patron de Danone. J’y suis entré par accident, j’ai appris les métiers, j’aurais pu être un très bon directeur général. Non, vraiment, digne successeur, ce n’était pas prévu. Ce qui s’est passé, c’est que mon père était déjà âgé et que, dans le groupe, personne n’avait trouvé la solution pour lui suggérer de passer la main. C’était plus facile de lui fourguer son fils. Si ça marche, ça marche, si ça ne marche pas, on me remplacera

J’ai eu une chance inouïe. Le malheur fait que j’ai eu une chance inouïe. Mon père a été victime d’une sorte d’AVC quatre mois après ma nomination. Un truc triste, une connerie, ça lui a bouché l’artère sylvienne et il a été très vite diminué. Du coup, j’ai pris la relève. Je l’adorais, mon père, mais s’il y a un endroit où je peux lui être rebelle, c’est Danone.”

(c) “Ceux d’en haut” par Hervé Hamon à paraître aux éditions Seuil


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