La « Tech » n’a plus la cote en Bourse. L’année a été tellement « fantastique » pour le secteur, jubilait-on cette semaine dans les réunions bilan des milieux financiers, qu’une simple perte de 2% en une semaine suffit à tarabuster les investisseurs. En même temps, qui pour les blâmer ? Le poids boursier des valeurs technologiques est devenu tellement monstrueux que ce sont elles qui dictent la tendance à Wall Street ! C’en est à ce point qu’en octobre, selon Bank of America Merrill Lynch, elles ont contribué à 75% de la performance du S&P 500. La « Tech » américaine fait la pluie et le beau temps jusque de ce côté-ci de l’Atlantique, jusqu’à la Bourse de Paris où les entreprises technologiques sont pourtant rares (un peu plus de 100 sur Euronext Paris en étendant la sélection à des sociétés comme Ubisoft et Neopost). C’est ce qui arrive quand des entreprises comme Apple, Alphabet (Google) et Microsoft pèsent ensemble en Bourse autant que la création de richesse d’un État comme la France (ajoutez la capitalisation d’Amazon et Facebook et vous obtenez le PIB de l’Allemagne). Alors, pour ces cadors de la cote mondiale, une simple baisse de 2% et ce sont des dizaines de milliards de dollars qui partent en fumée. Des centaines de milliards en comptant tout le grabuge boursier autour d’eux, soit autant qu’une récession dans une superpuissance. Et quand la secousse vient des Etats-Unis, de la première économie mondiale, elle est attentivement scrutée, largement commentée.
Cette secousse – c’est ironique – on la devrait aux avancées des discussions des parlementaires américains sur la réforme fiscale, argument qui servait jusque-là à expliquer l’incroyable envolée de la Bourse. L’argumentation, en tout cas, est des plus populaires sur la planète finance même si certains blâment plutôt les craintes des professionnels autour du bitcoin. « Il y un amalgame qui se fait entre le bitcoin et les actions des entreprises technologiques, avance Georg Schuh, directeur des investissements de Deutsche Bank AM pour la région Europe-Moyen-Orient-Afrique. On craint qu’une chute [de la cryptomonnaie] ne déclenche un mode risk-off en Bourse. » Mais globalement, les investisseurs commencent enfin à intégrer l’impact zéro des baisses d’impôts sur la plupart des géants de la « Tech » américaine.
C’est vrai que, sur le papier, qui dit baisse d’impôts dit effet positif sur les bénéfices des entreprises. Mais quand, en réalité, grâce à des montages fiscaux ingénieux, les entreprises du secteur technologique ne payent pas 35% d’impôts mais moins de 10% d’après FactSet, la carotte du président Trump d’un allègement à 20% (voire peut-être à 22% pour emporter le vote des parlementaires les plus inquiets du creusement du déficit) est tout de suite beaucoup moins alléchante. Et à voir, au travers des rapports annuels de 2016, que le taux d’imposition effectif moyen pour les sociétés du S&P 500 n’est que de 22%, la « Tech » n’est pas la seule dans ce cas-là. Les groupes pharmaceutiques, les géants pétroliers ou encore les sociétés foncières sont aussi grandement concernés. Pfizer annonçait par exemple, dans ses comptes 2016, un taux d’imposition de 13,6%.
Un tiers de la hausse du S&P 500
Partant de là, le bond de 20% du S&P 500 depuis l’élection de Donald Trump est exagéré. Bien sûr que l’économie se porte bien, que les bénéfices par action devraient avoir progressé cette année d’un peu plus de 11% sur l’indice élargi d’après Bloomberg, mais le gain de 17% sur 2017 est tout de même motivé pour un tiers par les promesses de baisses d’impôts et de dérégulation. Celles-ci ont même compté pour la moitié de la hausse de 40% des Apple, Google, Microsoft, Facebook et Amazon à qui Donald Trump a, en plus, fait miroiter une amnistie exceptionnelle pour les profits logés à l’étranger dans le cas où ces sociétés décideraient de les rapatrier sur le sol américain. Le hic, c’est que la « repatriation tax » pourrait finalement – par rapport aux 10% promis – monter à 14% ce qui, finalement, ajoute à la défiance du moment. « C’est certain, dans une période comme celle-là, qu’il y a des excès en Bourse, admet Jérôme van der Bruggen, responsable de la stratégie d’investissement Private Banking chez Degroof Petercam. Mais Apple ne se paye que 15 fois les bénéfices. »
Au final, maintenant qu’« on est presque sûr que la réforme fiscale verra le jour », Georg Schuh calcule que « les baisses d’impôts n’auront qu’un impact de seulement 2 à 3% sur les bénéfices. » Au moins, le feu vert du Congrès influera sur la psychologie de marché, soulageant l’humeur des boursiers inquiets de la capacité du président américain à réformer. « Trump pourrait montrer un premier succès après avoir annoncé beaucoup de bêtises, beaucoup de réformes », de nature, selon lui, à soutenir la Bourse.