Neoen a bouclé avec succès le 7 avril son augmentation de capital : 600 millions d’euros – le double de son chiffre d’affaires – levés en quinze jours. Depuis sa première cotation en octobre 2018, le premier producteur indépendant français d’énergies renouvelables brille en Bourse : en deux ans et demi, le cours de son action a flambé et hissé sa capitalisation à plus de 4 milliards. L’énergéticien le vaut bien, au cœur de la transition énergétique avec sa croissance de 30% par an, une rentabilité d’exploitation de 50%, et l’ambition de doubler d’ici à 2025 ses capacités de production pour atteindre une puissance équivalente à six réacteurs nucléaires.”Un parc de cette taille conduirait à une valorisation de 10 milliards d’euros”, prédit un analyste financier.
Investir au long cours
Enorme culbute en perspective, donc pour la 49e fortune française et son holding Impala, qui a investi jusqu’à présent environ 600 millions pour ses 47 % dans Neoen. Et un troisième coup gagnant, après deux spectaculaires success stories : les lancements de l’opérateur de télécoms Neuf Cegetel, cédé après dix ans, en 2008, pour 8 milliards à SFR ; puis du distributeur d’électricité Direct Energie, couvé douze ans avant d’être vendu en 2018 à Total 2,7 milliards.
Pour Neoen, le wonder boy a encore fait la preuve de son flair. Il a cru avant tout le monde aux énergies vertes quand la jeune pousse a été créée au sein de Direct Energie en 2008, et a fait le pari de la positionner sur le solaire, dont les coûts se sont bien plus effondrés que ceux de l’éolien. Et il a conservé la petite filiale hors du deal avec Total, dédaignant aussi le chèque de 2 milliards proposé par Engie.
Prescience d’entrepreneur, patience d’investisseur, ce sont ces qualités qui font la stratégie de Jacques Veyrat, 58 ans, depuis que, éjecté en 2011 de la direction du géant du négoce Louis-Dreyfus, il est son propre patron à la tête d’Impala. Son défi :”Devenir l’actionnaire de référence de plusieurs entreprises à forte croissance valant plus d’un milliard.” Le cap pour se changer en “licorne”. Pas facile avec une bourse serrée. Parti de Louis-Dreyfus avec des parts d’entreprises (Direct Energie, Neoen, Eiffel…) et avec 50 millions de liquidités, il n’a pas une grosse force de frappe en cash : il ne réclame pas de dividendes et cède peu de participations.
“La concurrence est rude car les gros fonds de private equity et les sociétés d’investissement familiales sont gorgés d’argent et s’arrachent les boîtes à coups de milliards”, dit-il. Lui, aligne rarement plus de 150 millions, visant plutôt des projets industriels en devenir ou des marques à l’encan, avec un atout : risquant ses propres deniers, il a tout le temps de les faire fructifier.”Il y a peu d’équivalents à Impala, prêts à mettre de l’argent plus de dix ans pour développer des champions en dehors des start-up du Net.” Un écosystème qu’il fuit, car trop encombré.
“La concurrence est rude car les gros fonds de private equity et les sociétés d’investissement familiales sont gorgés d’argent et s’arrachent les boîtes à coups de milliards.” Jacques Veyrat, président d’Impala.
Repérer les bons dirigeants
Pour faire des pépites, il a un talent : repérer et attirer les bons dirigeants.
“On me croit financier, mais je me sens l’âme d’un DRH”, assure-t-il, rappelant que “90% de la réussite est dans l’exécution”. C’est ainsi qu’il a embarqué en quittant Louis-Dreyfus une équipe de lieutenants doués et dévoués, tels Xavier Barbaro, PDG de Neoen, et Fabrice Dumonteil, aux manettes d’Eiffel.
Et c’est en sachant jauger les gens qu’il saisit des opportunités, telle sa percée dans les cosmétiques.
Au départ, c’est parce qu’il a été convaincu par le dynamisme de ses fondateurs, Laurent Dodet (ex-numéro deux de Fareva) et Jean-Marie Total (artisan de la renaissance de Cadum), qu’il a pris en 2014 un ticket dans Pharma and Beauty (P & B), sous-traitant pour de grandes marques (Caudalie, Nuxe, Sisley…). A partir d’une usine réalisant 2 millions de chiffre d’affaires reprise au tribunal de commerce en 2012, P & B, à coups d’acquisitions de manufactures en liquidation redressées promptement et d’investissements de modernisation et d’innovation, en compte aujourd’hui six et a multiplié ses ventes par 50.
Autre pari heureux issu d’une rencontre, celle d’Augustinus Bader, un médecin allemand que lui a présenté le banquier Charles Rosier pour investir dans son projet de crèmes anti-âge : “Même si je n’ai pas trop compris le fond de ses recherches sur les cellules souches, j’ai été touché par ce scientifique qui a travaillé trente ans sur la médecine régénérative de la peau au service des grands brûlés. J’étais décidé à le soutenir pour l’avancée de la science, il s’avère que c’est aussi pour mon meilleur profit”, se réjouit l’actionnaire. Lancées début 2018, The Rich Cream et The Cream sont devenues iconiques outre-Atlantique, créant le buzz auprès des mannequins, actrices, influenceuses et journalistes beauté. Carla Bruni, Victoria Beckham, Charlize Theron ont fait spontanément la promotion de ce soin magique. Résultat, le chiffre d’affaires d’Augustinus Bader a décuplé, de 7 millions de dollars en 2018 à plus de 70 millions l’an dernier.”Le décollage est vertical et l’avenir vertigineux, avec en ligne de mire la Chine ; la société sera une licorne”, s’emballe Veyrat.
Rester sous les radars
L’offensive dans les cosmétiques s’est accélérée en 2020 : Rachat de Roger & Gallet à L’Oréal en avril, reprise de Lierac et Phyto, en redressement judiciaire, en septembre, Veyrat a constitué à la vitesse de l’éclair un groupe, baptisé Native. Et il a débauché une pointure pour le diriger, Stéphane Enouf, qui a passé dix ans à la tête de Caudalie. Pourquoi quitter une société si prospère ?”J’étais prêt à sauter le pas de l’entrepreneuriat et je connaissais la réputation de Veyrat, investisseur qui accorde confiance et liberté aux managers et sait accompagner dans la durée. J’ai été approché par des fonds pour des coups financiers mais je voulais un vrai industriel”, explique Enouf, qui a 10% du capital.”Veyrat est loin de ses bases dans ce secteur de la grande consommation, observe un banquier d’affaires.
Mais entre les vieilles marques endormies et les jeunes pousses pointues, s’il parvient à rester sous les radars, il y a de belles affaires, comme l’a montré le beau parcours de Filorga, que la société d’investissement HLD a dénichée en 2010, fait grandir et revendue en 2019 à Colgate-Palmolive pour 1,5 milliard.” La chasse aux emplettes est ouverte.
IMPALA
ENERGIE
47% de Neoen Producteur d’énergies renouvelables solaire et éolien.
Chiffre d’affaires 300 millions
Et aussi…
7% d’Albioma Producteur d’énergies renouvelables d’Outre-mer, solaire et biomasse.
Chiffre d’affaires 507 millions
6% de Castleton Commodities International Société américaine de trading en énergie.
Chiffre d’affaires 322 millions
COSMÉTIQUES
33% d’Augustinus Bader Marque allemande de produits de soins de luxe.
Chiffre d’affaires 70 millions
85% de Native Commercialisation des marques Roger & Gallet (savons, parfums), Liérac (soins anti-âge), Phyto (soins capillaires), Jowaé (produits de soin coréens).
Chiffre d’affaires 180 millions
66% de Pharma and Beauty Conception et production de cosmétiques et produits pharmaceutiques en marque blanche.
Chiffre d’affaires 100 millions
INDUSTRIE
85% de Technoplus Industries Mécanique de précision pour le nucléaire, l’aéronautique…
Chiffre d’affaires 30 millions
AUTHENTIFICATION
100% d’Arjo Solutions 85% d’Inexto Fournisseurs de solutions d’identification anti-contrefaçon et traçage de produits dans les cosmétiques, la pharmacie, le tabac, le luxe, l’automobile.
Chiffre d’affaires 20 millions
GESTION D’ACTIFS
70% d’Eiffel Investment Group Société de gestion spécialisée dans le financement des PME-ETI et de la transition énergétique.
Encours 3,5 milliards
SOURCES : SOCIÉTÉS, CHALLENGES
(Emily Grace films & photography)
(Photos : SP)
(Photos : SP)
Gaëlle Macke