“Partez explorer les terres riches en ressources de l’île de Catan, développez le commerce et étendez votre territoire plus vite que vos adversaires… “ Pour gagner des points de victoire au jeu de plateau Catan, mieux vaut être fin stratège. A l’image de l’entreprise française qui le produit, Asmodee, qui n’en finit pas de poser ses pions à travers le monde. Depuis sa création par Marc Nunès en 1995, elle s’est imposée comme le leader mondial du jeu de société, avec plus de 4.000 titres à son catalogue, dont les best-sellers Dobble, Les Aventuriers du Rail, Pandemic ou encore Dixit.
Une vingtaine de studios
Avec la crise sanitaire et les confinements, l’engouement pour les jeux de société a explosé. “La croissance sur ce marché est incroyable”, constate Frédérique Tutt, experte jouets pour le cabinet NPD. En France, la progression est de 26 % sur l’année 2020, à 400 millions d’euros. Un appétit du grand public qui coïncide avec celui d’Asmodee. Après avoir vendu 40 millions de jeux l’an passé, 2021 démarre en effet sur les chapeaux de roues pour l’entreprise. En février, elle a acquis Board Game Arena, une plateforme digitale de jeux de société aux 6,5 millions de membres. Un mois plus tard, elle étoffait
Asmodee et son armée de 2.000 salariés sont des experts redoutables. En vingt-six ans, la société a développé une habile stratégie de maillage. Chaque jeu est d’abord tiré à faible tirage auprès d’un réseau de magasins ultra-spécialisés dits hobby. Les nouveautés vont y être testées et approuvées, avant de rejoindre le réseau traditionnel des boutiques de jouets et des enseignes culturelles. Pour ensuite chatouiller les rayons de la grande distribution alimentaire. “La force d’Asmodee est d’être présent chez tous types de distributeurs”, analyse Jean-Claude Boungnavong, acheteur pour La Grande Récré.
Lire aussiJeux de société: comment Asmodee rebat les cartes
Un système rodé
“Nous avons construit un modèle financier vertueux unique, qui permet de toucher la rentabilité dès la première mise sur le marché d’un jeu dont le prix de vente est de 30 euros”, fait savoir Stéphane Carville, président du groupe Asmodee. Dobble, qui s’est écoulé à 5,6 millions d’exemplaires en 2020, est ainsi passé au marché de masse en seulement deux ans. Alors que pour son concurrent Goliath, qui édite Triomino et Shit Happens, un jeu n’atteint sa rentabilité qu’au bout de trois ans et au prix d’un coût élevé en marketing, avoue son directeur général France Philippe Bernard. Au rythme de 150 nouveautés par an, Asmodee tient à conserver cet équilibre entre des “locomotives”, vendues à des millions d’exemplaires, et des jeux qui ne s’adressent qu’à quelques dizaines de milliers de joueurs. “La singularité d’Asmodee tient à son rôle sociétal de proposer un jeu pour chaque joueur”, avance son dirigeant.
A cette activité historique d’édition, s’ajoute le métier de distributeur avec 21 antennes locales disséminées en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et dernièrement en Corée du Sud. A chacune d’assurer la commercialisation des jeux édités par les maisons du groupe, mais aussi par des éditeurs partenaires externes. “Notre position est unique sur le marché, nous sommes le seul acteur qui est à la fois éditeur et distributeur pour ses propres jeux, mais aussi pour le compte de tiers”, souligne Stéphane Carville. A ce titre, Asmodee dispose d’une ressource précieuse: depuis 2003, il est le distributeur exclusif des cartes Pokémon en France. Et le groupe accompagne la licence qui fête ses 25 ans dans plusieurs pays d’Europe. “C’est un énorme atout, souligne Frédérique Tutt. Sur les quatre premiers mois de l’année, Pokémon était la licence numéro un sur le marché français.” Selon la concurrence, ces cartes rapporteraient près de 40 millions d’euros par an au français. Stéphane Carville salue “une licence exceptionnelle avec 25 milliards de cartes vendues dans le monde”.
Lire aussi Comment Lego est devenu le leader mondial du jouet
Des ambitions chinoises
Mais à force de multiplier les casquettes, le groupe risque-t-il de cannibaliser le marché des jeux de société ? “Le risque est surtout pour eux, tempère son rival Goliath. La taille atteinte par Asmodee fait qu’à terme, les fondations du groupe peuvent s’effondrer.” Déjà valorisé 1,2 milliard de dollars lors de sa reprise en 2008 par PAI Partners, Asmodee n’en finit pas de s’étendre. Et n’exclut pas “un jour une opération”, sans donner d’agenda particulier, ni préciser s’il s’agit d’une introduction en Bourse. Aujourd’hui, l’entreprise réalise 80 % de son chiffre d’affaires, qui a dépassé 700 millions d’euros en 2020 (contre 590 millions en 2019) à l’international, avec pour premier marché les Etats-Unis. Alors même qu’en 2009, 85 % provenaient du marché français. Asmodee commence à s’intéresser à l’Amérique latine et au Canada, et regarde “l’Asie dans son ensemble”. Acquise en début d’année, la plateforme Board Game Arena lui permettra non seulement de percer le marché chinois réputé difficile pour les jeux de société, mais également d’accélérer la digitalisation de l’ensemble de son catalogue. “Board Game Arena compte 330 jeux, mais la majorité ne sont pas des jeux Asmodee, explique Thomas Koegler, head of strategy & business development d’Asmodee. Nous allons accélérer le développement du catalogue d’Asmodee sur la plateforme.” A raison de quelque 50.000 joueurs qui l’intègrent chaque semaine, le groupe aurait tort de se priver d’une telle vitrine.
Le modèle Disney
Prochaine étape pour la galaxie Asmodee ? Le groupe veut créer un écosystème autour de ses contenus. “Nous devenons à présent un acteur du divertissement”, expose Stéphane Carville. Cette stratégie a commencé en 2019 avec la création de la maison d’édition de livres Aconyte, dont le catalogue approche d’une quarantaine de titres. Aujourd’hui, la société mène de nombreuses discussions avec des studios de production pour adapter ses propriétés industrielles à l’univers des jeux télévisés ou des séries télé. “Nous comptons bientôt annoncer le premier développement média issu d’un de nos jeux”, frétille Stéphane Carville. En attendant, Asmodee vient de signer un partenariat avec Netflix pour l’adaptation de la série Le Jeu de la dame, dont le jeu sortira vers la rentrée. Le modèle d’Asmodee ? The Walt Disney Company, “l’une des plus belles histoires jamais écrites dans l’univers du divertissement.” Il reste encore du chemin.
Cartes Pokémon. Depuis 2003, Asmodee est le distributeur exclusif du jeu en France. Pour un chiffre d’affaires estimé à 40 millions d’euros par an. (SP)