Le télétravail c’est bien. Mais avez-vous pensé à votre santé? Et là, on ne va pas parler des grands sujets de discussion autour de la machine de café, comme le bore-out ou le mal de dos. On va parler sédentarité. Car le télétravail, par définition, c’est la fin du métro-boulot-dodo. Or notre transhumance quotidienne n’a peut-être rien de folichon, mais elle a une vertu: elle nous fait bouger. Rester assis devant son écran toute une journée multiplie par deux le risque de maladies cardiovasculaires, de diabète grave et d’obésité. L’ONAPS, l’office national de l’activité physique et sportive, a mesuré que pendant le premier confinement, 25% d’entre nous avons augmenté notre temps passé assis, et nous sommes 41% à avoir augmenté le temps que nous avons passé devant des écrans. Depuis, la situation n’a pas vraiment évolué et le couvre-feu n’arrange rien: au moment où nous avons terminé notre travail, nous sommes précisément interdit de sortie!
“En marche!”
Non, ce n’est pas le nouveau slogan d’un parti politique, c’est l’objectif du ministère de la Santé: il faudrait qu’on bouge, qu’on s’agite, qu’on marche, qu’on tricotte des gambettes. Bref, qu’on fasse un peu d’exercice, sans forcément s’en apercevoir. C’est là qu’intervient une petite application qui connaît un très gros succès. Son nom: Kiplin. Créée il y a six ans, la société a vu son activité doubler dès le début de la pandémie. Car son but, c’est de nous faire marcher… sans nous casser le pieds. Exemple avec sa dernière création, l’Odyssée des Lucioles. “C’est un jeu basé sur la coopération. Vous faites partie des gardes forestiers, qui doivent maitriser un feu qui menace de tuer des lucioles. Pour les protéger, il faut aller chercher de l’eau et éteindre les flammes. Et c’est encore plus efficace lorsqu’on se coordonne au sein d’une équipe.” explique le PDG-fondateur de Kiplin, Vincent Tharreau.
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47.000 joueurs
Et pour marcher, ca marche! L’an dernier, plus de 47.000 personnes ont joué sur cette application. Il faut dire que l’application a séduit le Crédit agricole, un mastodonte de plus de 70.000 personnes. Plusieurs de ses caisses régionales ont lancé des opérations Odyssée des Lucioles, pour faire marcher ensemble les équipes. Par exemple, au Crédit agricole Aquitaine avec ses 2.672 collaborateurs, qui couvrent la Gironde, les Landes et le Lot-et-Garonne. “Le télétravail nous a été imposé sur une partie de nos équipes et il est monté à 50/60% pour celles qui ne sont pas en contact direct avec nos clients dans les agences. Cela a engendré des problèmes de sédentarité et d’absence de mobilité.” explique Christine Drac, sa directrice générale adjointe. La banque a décidé de parier, avec Kiplin, sur la solidarité pour motiver les équipes et a formé 15 équipes pour participer à l’Odyssée des Lucioles, avec comme récompense des prix (9.000 euros au total) destinés à être remis à 15 associations choisies par ces équipes. “Nous sommes 2.700 salariés dans notre Caisse et pourtant, nous avons eu presque 2.800 participants: car en plus des salariés, des administrateurs (nous en avons 1.300) ont voulu participer. Au total, entre le 9 et le 23 novembre dernier, nos joueurs ont fait 180 millions de pas pour sauver les Lucioles. Soit 6.300 pas par jour et par personne.” résume David Lassalle, le responsable du développement coopératif de la banque.
Des entreprises séduites
6.300 pas par jour et par personne, pas mal, non? En avez-vous fait autant? Ce qui est sûr, c’est que le pari de Kiplin est gagné. Au point même qu’un participant dans les Landes a été surpris par les gendarmes, alors qu’il marchait hors délai du couvre-feu. Il leur a expliqué, un peu penaud, qu’il participait à un défi, l’Odyssée des Lucioles, et qu’il voulait rattraper son retard dans son décompte quotidien de pas: les gendarmes l’ont laissé repartir… “J’y ai aussi participé,” explique Christine Drac, “et j’ai fait des jours à 13.000 pas: je me suis étonnée moi-même. J’utilisais déjà un podomètre sur mon téléphone, mais là, j’ai accéléré! Malgré tout, mon équipe n’a pas terminé dans les trois premières… Au final, c’est une expérience qui a beaucoup plu et de nombreuses personnes nous ont dit qu’elles regrettaient de ne pas y avoir participé. Du coup, on y repense pour 2021.”
Jouer pour sa santé
Plusieurs autres grandes entreprises sont intéressées par ce type de jeu, qui connaît un franc succès partout dans le monde. Kiplin en effet n’est pas seul sur ce créneau. Il existe à l’étranger une demi-douzaine de start-up qui développent ce genre d’applications dites “de santé” comme Tilak ou Akili. Mais Kiplin s’est aussi aperçue que son application avait d’autres utilisations. Et notamment médicales. “Je viens du monde de l’entreprise et je travaillais dans les RH. Je voulais sortir du coaching individuel, mais en restant sur le thème de la santé au travail. Et ce n’est qu’après nos succès en entreprise que nous avons commencé à être sollicités par des partenaires extérieurs comme des assureurs, des équipes de recherche médicale. Et aujourd’hui le groupe Ramsay Santé, les établissements de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) ou encore l’Institut Gustave Roussy, premier centre de lutte contre le cancer en Europe, utilisent nos applications…” explique Vincent Tharreau.
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Activité physique adaptée
Depuis quelques mois, Kiplin travaille avec les ARS (agences régionales de Santé) sur des jeux spécifiques à certaines catégories de maladies, et notamment de maladies chroniques: diabète, asthme, obésité, cancer… Pour lutter contre ces affections, dont souffrent environ 20 millions de Français, une seule thérapie non médicamenteuse possède des effets reconnus: l’activité physique adaptée (APA). Elle améliore le sommeil, lutte contre le surpoids et le stress, permet de mieux tolérer les traitements et améliore la survie de certains malades. Pourtant, seule une minorité de ces patients la pratiquent aujourd’hui, en raison de contraintes logistiques (agenda, salle, trajets…) et la crise sanitaire n’a pas amélioré la situation, bien au contraire…
Levée de fonds
En ce début d’année, la société est en train de lever des fonds. Elle n’a aucun problème pour le faire: les investisseurs se bousculent à sa porte. Cet argent frais servira à monter un dossier qui lui permettra d’obtenir …l’accès au remboursement de la Sécurité Sociale. Il sera alors considéré comme “dispositif médical”, même si cela peut paraître fou de se faire rembourser un jeu sur mobile comme un médicament. En France, en tous cas, ce serait une première. Mais cela existe déjà aux USA, où des applications d’Akili ont été validées par la très rigoureuse FDA (Food and Drug administration) et font désormais partie du parcours de santé d’un certain nombre d’organismes.