La Banque de France a enregistré en 2024 un déficit net de 7,7 milliards d’euros, un niveau inégalé depuis plus de deux décennies. L’institution a dû prélever 10,1 milliards d’euros dans son Fonds pour risques généraux (FRG) afin d’atténuer une perte d’exploitation de 17,9 milliards d’euros. Cette situation résulte des conséquences directes des ajustements monétaires menés par la Banque centrale européenne (BCE) pour contrer l’inflation persistante.
Les observateurs du secteur bancaire s’attendaient à un tel résultat. Dès 2023, la Banque de France avait enregistré une perte d’exploitation de 12,4 milliards d’euros, qui avait alors été entièrement compensée par ses réserves. Toutefois, l’ampleur du décalage entre les produits financiers et les charges en 2024 a dépassé les capacités d’absorption de l’institution. « Un tel chiffre n’a jamais existé dans l’histoire de la Banque de France et ne devrait pas se reproduire à l’avenir », a affirmé François Villeroy de Galhau lors d’une conférence de presse le 19 mars 2025.
La dégradation des comptes de la banque centrale ne résulte ni d’une stratégie inadaptée ni d’un choc financier exogène. Elle trouve son origine dans la normalisation de la politique monétaire européenne après plusieurs années d’assouplissement quantitatif.
Une accumulation d’actifs à faible rendement face à une remontée des taux
Entre 2015 et 2021, la Banque de France a acquis de grandes quantités d’obligations souveraines et privées à des taux historiquement bas, s’inscrivant dans la stratégie d’achats massifs d’actifs de la BCE. Ces titres, dont le rendement moyen avoisine 0,7 %, sont restés inscrits au bilan, générant des revenus limités.
Parallèlement, la BCE a procédé à un relèvement rapide de ses taux directeurs à partir de 2022, atteignant 4 % en 2024. Ce resserrement monétaire a augmenté le coût des intérêts versés sur les dépôts bancaires placés auprès de la Banque de France. L’écart grandissant entre la rentabilité des actifs et le coût des passifs a ainsi creusé le déficit de l’institution.
Un phénomène qui touche l’ensemble des banques centrales européennes
La Banque de France n’est pas un cas isolé. La Bundesbank allemande a annoncé une perte historique de 19,2 milliards d’euros pour 2024, tandis que la BCE elle-même a enregistré un déficit de 7,94 milliards d’euros. Les bilans des banques centrales européennes, marqués par une accumulation d’actifs à faible rendement durant la décennie précédente, subissent aujourd’hui les conséquences de la remontée des taux.
Des garanties solides pour préserver la stabilité
Malgré cette perte d’ampleur, la Banque de France reste confiante quant à sa capacité à surmonter cette phase d’ajustement. Une recapitalisation par l’État n’est pas à l’ordre du jour, et les prévisions tablent sur un retour progressif à l’équilibre.
- Des fonds propres confortables : Avec des capitaux nets et des plus-values latentes estimés à 202,7 milliards d’euros, la banque centrale conserve une assise financière robuste.
- Une stratégie d’amortissement des pertes : L’inscripton du déficit en report permet d’en étaler l’impact comptable sur plusieurs exercices.
- Des perspectives d’amélioration à moyen terme : La baisse attendue des taux directeurs de la BCE dans les prochaines années devrait alléger le coût de la rémunération des dépôts, réduisant progressivement le déséquilibre des comptes.
François Villeroy de Galhau anticipe un rétablissement progressif, avec des pertes additionnelles limitées et un retour aux bénéfices dans un horizon de quelques années.
Le défi pour les banques centrales européennes demeure de trouver un compromis entre stabilité financière et maintien de l’autonomie monétaire. L’évolution des taux et les décisions de politique économique dans les mois à venir seront déterminantes pour l’équilibre de leurs bilans et leur capacité à naviguer dans un environnement en mutation.