A défaut de réception amiable, expresse ou tacite, il est donc possible de demander au juge de prononcer une réception judiciaire. Classiquement, celle-ci n’était demandée que par les entreprises puisque, pour sa part et sous réserve de respecter la contradiction, le maître de l’ouvrage avait la possibilité de réceptionner de façon unilatérale.
La réception judiciaire permettait donc à l’entreprise, qui avait tout intérêt à voir ses travaux réceptionnés pour faire courir le délai de garantie décennale et mobiliser, le cas échéant, son assureur, de sortir d’une situation de blocage en cas de refus injustifié du maître de l’ouvrage de réceptionner les travaux.
Dès lors, et selon une jurisprudence bien établie, l’entreprise qui demandait le prononcé de la réception judiciaire devait démontrer, d’une part, que l’ouvrage était en état d’être reçu et, d’autre part, que le maître de l’ouvrage lui avait opposé un refus abusif.
Il n’en demeure pas moins que l’article 1792-6 du code civil dispose que la réception « intervient à la demande de la partie la plus diligente ».
La Cour de cassation, dans deux arrêts récents, a ainsi affirmé que la réception judiciaire pouvait aussi être demandée par le maître de l’ouvrage (Civ.3ème, 24 novembre 2016, n°155-26090 et Civ.3ème, 12 octobre 2017, n°15-27802).
Et, elle a précisé, dans son arrêt du 12 octobre 2017, qu’il convenait de retenir un seul et unique critère pour le prononcé de la réception judiciaire, à savoir des travaux en état d’être reçus.
Dans cette affaire, la cour d’appel, pour refuser au maître de l’ouvrage une réception judiciaire, avait retenu que le prononcé de celle-ci supposait la réunion des deux conditions classiques en la matière : que les travaux soient en état d’être reçus mais aussi un refus abusif du maître de l’ouvrage de prononcer la réception demandée par le constructeur. La Cour de cassation censure la cour d’appel et retient, qu’en l’absence de réception amiable, la réception judiciaire peut être ordonnée dès lors que les travaux sont en état d’être reçus.
Cette solution permet de fixer la date de réception au jour où l’ouvrage est en état d’être reçu, alors même qu’à cette même date, le maître de l’ouvrage a refusé de procéder à la réception amiable des travaux.
Ainsi, lorsque des désordres d’ordre décennal apparaissent en cours de chantier, mais à un moment où l’immeuble est en état d’être reçu, le maître de l’ouvrage peut avoir intérêt à refuser la réception amiable pour demander ensuite la réception judiciaire à une date antérieure et bénéficier « rétroactivement » de la garantie de l’assureur responsabilité décennale.
La réception judiciaire, longtemps ignorée du maître de l’ouvrage, devient donc un outil stratégique pour celui-ci sous réserve d’être utilisée à bon escient et sous les conseils avisés d’un professionnel.
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