La société BlackRock accusé de double jeu sur l'environnement

BlackRock, société qui gère le plus d’argent au monde dont des retraites de fonctionnaires et les investissements des collectivités locales, a récemment affirmé haut et fort que la lutte contre le changement climatique était devenue une priorité.

Mais ses votes lors des assemblées générales (AG) d’entreprises dans lesquelles elle investit mettent à mal cette promesse, regrettent plusieurs ONG environnementalistes.

Le patron de la société new-yorkaise, et une des voix les plus influentes de la finance américaine, Larry Fink, avait fait sensation en janvier en affirmant que la montée de la température sur Terre représentait un réel risque pour les entreprises.

Avec ses 7.300 milliards de dollars à gérer, BlackRock, avait alors assuré le grand patron, deviendra un leader dans les investissements durables et responsables. Le géant américain misait sur sa puissance financière pour, bon gré mal gré, convertir au vert les milieux d’affaires.

“On a applaudi” à l’époque, rappelle Ben Cushing, de la populaire association américaine de protection de l’environnement Sierra Club. “Et nous reconnaissons qu’ils ont fait des progrès dans cette direction”, ajoute-t-il en mentionnant par exemple la décision de réduire leurs investissements dans le charbon.

“Mais clairement, ils n’agissent pas aussi rapidement ou franchement qu’ils le devraient.”

– Deux résolutions –

BlackRock semble même parfois reculer: lors des assemblées générales des entreprises dont il est actionnaire, le groupe a voté pour seulement 13% des résolutions destinées à protéger l’environnement cette année, contre 20% en 2019, selon le cabinet Proxy Insight.

L’ONG Majority Action a, dans un rapport publié fin septembre, affirmé que la société new-yorkaise avait voté en faveur de seulement 3 des 36 résolutions spécifiquement liées au climat présentées lors d’AG des sociétés comprises dans l’indice de Wall Street S&P 500.

Surtout, dénonce l’organisation, BlackRock n’a soutenu que 2 des 12 résolutions présentées par la coalition d’investisseurs Climate Action 100+, que la société a rejoint en début d’année.

BlackRock est actionnaire de grosses sociétés allant d’Apple, Facebook à ExxonMobil en passant par ConocoPhillips, Bunge ou encore Nike.

Pour justifier son opposition à des propositions demandant par exemple à Chevron de publier un rapport sur les risques pétrochimiques ou à la compagnie Delta Airlines de rendre conformes ses actions de lobbying avec les objectifs de l’Accord de Paris, la firme souligne souvent que l’entreprise concernée “a déjà des programmes en place pour traiter ce problème”.

Elle dit également avoir souvent voté contre la nomination de certains membres de conseils d’administration, en raison de leurs positions sur les questions environnementales.

BlackRock dit aussi exercer son influence lors des rencontres avec les directions.

“Il convient de noter que toutes les propositions d’actionnaires ne se valent pas et qu’il serait erroné de considérer que voter contre la direction (d’une entreprise) sans tenir compte de l’impact d’une proposition est de la bonne gouvernance”, a indiqué la société à l’AFP.

– “Décourageant” –

D’autres grands gestionnaires d’actifs se montrent beaucoup plus remuants, rétorque Giulia Christianson, responsable des investissements durables pour l’organisme de recherche World Resources Institute.

Selon le rapport de Majority Action, le géant américain de l’investissement obligataire Pimco a voté en faveur de toutes les résolutions considérées comme essentielles sur le climat. Idem pour le gestionnaire d’actifs français Amundi (78%) et la banque américaine JPMorgan Chase (53%). BlackRock, à hauteur de 8%.

“Le bilan des votes de BlackRock cette année est décourageant”, regrette Mme Christianson.

Le message de Larry Fink “semblait indiquer qu’il considérait que prendre en compte le changement climatique faisait désormais partie de ses obligations fiduciaires”, souligne l’experte. Les votes de sa société lors d’assemblées générales “disent tout autre chose”.

C’est d’autant plus dommage selon elle que les investissements répondant à des règles spécifiques sur l’environnement, le social et la gouvernance (ESG) gagnent de plus en plus de légitimité.

Avec les tumultes qui ont bousculé les marchés boursiers en début d’année, “ils ont passé le test de la volatilité en parvenant bien souvent à faire mieux que les investissements traditionnels”, assure Mme Christianson.

BlackRock a une responsabilité énorme, estime de son côté M. Cushing.

La société “est un gros contributeur à la crise climatique via les financements qu’elle apporte aux énergies fossiles , à la déforestation et à des industries nuisibles au climat”, explique-t-il.

Mais elle est aussi l’un des plus gros investisseurs dans de nombreuses sociétés cotées en Bourse, ce qui lui donne “un considérable pouvoir d’influence” sur leur comportement.

Il est dommage, selon le militant, que l’entreprise préfère “maintenir le statu quo”.

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