L'armée française toujours pas prête pour un “conflit de masse”

C’est tout le charme des auditions parlementaires à huis clos : on sait quand elles se déroulent, jamais quand le compte-rendu est rendu public. Le compte-rendu de l’audition du chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, pourtant effectuée le 18 octobre devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, n’a ainsi été publié que ces derniers jours. Le contenu valait heureusement l’attente. Le général Lecointre est revenu sur ses propos de la précédente audition, en juillet dernier, qui avaient fait jaser le microcosme militaire. “A l’issue de la période de programmation militaire qui s’ouvre, assurait alors le CEMA, notre armée ne sera plus éreintée, sous-équipée, sous-dotée et sous-entraînée comme aujourd’hui. Mais elle restera une armée des “dividendes de la paix”, une armée de temps de paix”.

Trois mois après, le chef d’état-major des armées assure qu’il ne réemploierait pas le terme d'”armée de temps de paix”, préférant armée de “temps de crises”. Mais le constat est le même : “Nous sommes une armée de temps de crise, mais pas de temps de grande conflictualité, résume le général Lecointre. Nous ne sommes pas en mesure, et nous n’avons pas de scénario prévoyant d’être engagés dans une guerre inter-étatique massive.” Quelques lignes plus loin, le CEMA enfonce le clou. “Nous sommes attentifs à la brutalisation du monde, à ce qui peut se passer demain, mais aujourd’hui je n’ai pas de scénario qui permette de faire face à un conflit de masse.”

Le redressement prendra du temps

La loi de programmation militaire, présentée comme une LPM de reconquête par le ministère des armées, est très positive, mais elle ne fera pas de miracle, prévient le général Lecointre. Ce dernier salue l’effort financier important de la LPM, qui prévoit une hausse du budget de défense de 1,7 milliard d’euros par an jusqu’à 2022, et de 3 milliards d’euros par an de 2023 à 2025, pour atteindre 50 milliards d’euros en 2025, soit environ 2% du PIB. Mais il relativise les effets concrets du texte, qui mettra du temps pour obtenir ses pleins effets. “L’avantage que nous aurons, à la fin de l’exécution de la loi de programmation, sera d’être une armée reconstituée, ayant préservé une base industrielle et technologique de défense de très haut niveau et capable, si nécessaire – si des signes nous laissaient à penser que nous allions vers un conflit majeur –, d’effectuer un effort de montée en puissance majeure, indique le général Lecointre.  Mais, je le répète, nous n’en sommes pas là, nous n’imaginons pas aujourd’hui que cela puisse arriver.”

Quelles forces doit pouvoir déployer la France en cas de conflit ? La loi de programmation militaire 2019-2025, votée en juillet dernier, définit, dans son rapport annexé, un “contrat opérationnel” pour les armées, qu’elles doivent être capables d’honorer à l’horizon 2030. Dans le cas d’une opération de “coercition majeure”, l’armée devra pouvoir déployer “jusqu’à 2 brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes des forces terrestres”, qui doivent pouvoir mettre en œuvre 140 chars Leclerc, 130 blindés de reconnaissance et de combat Jaguar, 800 véhicules de combat d’infanterie, 64 hélicoptères et 48 canons Caesar.

Force de réaction immédiate

L’armée de l’air doit être en mesure de déployer 45 avions de chasse, 9 avions de transport stratégique et de ravitaillement, 16 avions de transport tactique, 4 systèmes de drones armés, jusqu’à 4 avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), avec deux à trois bases aériennes projetées comme la base H5 de Jordanie utilisée actuellement pour l’opération Chammal au Levant. La marine, elle, doit pouvoir déployer une force navale composée du porte-avions avec son groupe aérien, ainsi que 2 bâtiments de projection et de commandement, jusqu’à 8 frégates, 2 sous-marins nucléaires d’attaque de type Barracuda, 5 avions de patrouille maritime et des moyens de guerre des mines et de ravitaillement à la mer.

Parallèlement, pour faire face à une opération urgente, la LPM prévoit une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes projetables sur très court préavis. Cette force, dotée de blindés, hélicoptères, d’une dizaine d’avions de chasse et de tous les moyens de soutien nécessaires, doit être projetable à 3 000 km dans un délai de 7 jours. Avant ce délai, la France doit être capable d’effectuer des frappes en profondeur par des moyens aériens et navals. La FIRI doit pouvoir être renforcée à hauteur de 5 000 hommes sous 30 jours, équipés de moyens complémentaires,  dont des systèmes de missiles sol-air SAMP/T et des drones de surveillance.

Dépendance américaine

Si ces moyens peuvent paraître impressionnants sur le papier, ils ne suffiraient pas pour un conflit majeur, un scénario qu’il serait bien imprudent d’exclure totalement. En juillet dernier, le général Lecointre soulignait ainsi que la “LPM ne nous permettra pas d’être une armée susceptible d’être engagée seule dans un conflit majeur en Europe centrale, par exemple”. Une telle intervention, soulignait-il, ne serait possible que “dans le cadre de l’Otan et avec un soutien massif des États-Unis.” 

Challenges en temps réel : Entreprise