Les textes légaux actuels ne protègent que partiellement les mineurs contre les risques de détournement de leurs avoirs financiers par l’un de leurs parents. D’une part, un décret du 22 décembre 2008 stipule que la réception et le retrait de fonds sur un compte ou un livret d’épargne sont considérés comme des actes d’« administration » sans gravité particulière, que chaque parent est réputé pouvoir accomplir seul, sans l’accord de l’autre. D’autre part, l’article 499 du code civil précise que les tiers, comme les banques, ne sont pas garants de l’utilisation faite des capitaux par leurs clients.
C’est dans ce cadre juridique, offrant une certaine latitude aux parents, que s’inscrit une récente affaire très médiatisée. En mai 2012, un juge des tutelles a autorisé M. X et Mme Y, parents divorcés, à recevoir pour chacun de leurs trois enfants mineurs la somme de 7 000 euros, soit un total de 21 000 euros d’indemnités, à la suite du décès accidentel de leur oncle. M. X a alors ouvert trois livrets d’épargne distincts au Crédit Mutuel pour y déposer ces fonds, censés compenser le préjudice moral subi par les enfants.
Cependant, seulement treize jours plus tard, le père a procédé à des virements d’un montant total de 15 000 euros depuis les livrets vers le compte de son entreprise en difficulté, SG Auto Import. Il a ensuite retiré le solde restant, ne laissant que quelques centimes sur les livrets initialement ouverts au nom des mineurs.
Alertée par Mme Y, la justice a désigné l’Union départementale des associations familiales (UDAF) comme administratrice ad hoc des trois enfants, avec pour mission de recouvrer les sommes indûment prélevées par le père. Si ce dernier a bien été poursuivi au pénal, son insolvabilité consécutive à la liquidation de son entreprise n’a permis de récupérer que 1 815 euros en sept ans, par le biais de versements trimestriels modestes de 15 euros pour chaque enfant.
Face à cette situation, l’UDAF s’est tournée vers le Crédit Mutuel, estimant que les virements litigieux constituaient des actes de disposition sur les avoirs des mineurs, nécessitant l’accord de la mère en vertu de son autorité parentale conjointe. Bien que la banque ait objecté qu’il s’agissait d’actes d’administration courants qu’un parent est réputé pouvoir accomplir seul, la cour d’appel d’Angers lui a donné tort.
Selon les juges, la destination manifestement inhabituelle des virements effectués par le père vers son entreprise en difficulté aurait dû alerter le Crédit Mutuel sur leur nature litigieuse. En tant qu’établissement financier censé disposer d’une « connaissance actualisée » du profil et de la situation de ses clients mineurs, la banque aurait dû détecter cette anomalie patente et, à tout le moins, demander l’autorisation de l’autre parent titulaire de l’autorité parentale.
La cour a estimé que ce manquement au devoir d’alerte prévu par le code civil constituait une faute, ayant directement contribué à la disparition quasi-totale des fonds appartenant aux trois enfants. Si de telles précautions avaient été prises, des mesures auraient pu être mises en place pour empêcher le détournement des avoirs par le père.
En conséquence, la cour d’appel d’Angers a condamné le Crédit Mutuel à rembourser les trois mineurs à hauteur de 19 184 euros, après déduction des sommes déjà récupérées auprès du père. Une décision lourde de sens, qui pourrait faire jurisprudence et renforcer les obligations de vigilance des banques dans la gestion des avoirs des mineurs.
Au-delà des enjeux financiers, cette affaire soulève des questions éthiques importantes. Si le cadre légal actuel laisse une marge de manœuvre certaine aux parents, les juges semblent vouloir resserrer les garde-fous pour prévenir les abus et détournements au détriment des intérêts patrimoniaux des mineurs, souvent constitués d’indemnités ou d’héritages sensibles.
De leur côté, les établissements bancaires sont désormais appelés à revoir leurs procédures internes pour détecter et bloquer en amont les opérations suspectes sur les avoirs de cette clientèle vulnérable. Un défi délicat, entre le respect des prérogatives légales des parents et leurs responsabilités de protection des intérêts des mineurs.
Le Crédit Mutuel n’a pas encore indiqué s’il comptait se pourvoir en cassation. Mais cette affaire marquante aura, quoi qu’il arrive, un impact durable sur les pratiques du secteur bancaire en matière de gestion des avoirs des mineurs. Elle consacre un nouvel impératif de vigilance renforcée, voire de devoir de désobéissance légalement justifiée en cas de risque avéré de préjudice pour ces clients particuliers.