L’académie suédoise a résumé en ces termes la contribution des chercheurs à la pensée économique : « leur travail est une base intellectuelle pour la mise en œuvre de nouvelles politiques et institutions dans de nombreux domaines, du droit des faillites jusqu’aux Constitutions des Etats ». Ces deux économistes sont des pionniers de la théorie des contrats, un domaine dont ils sont des experts depuis la fin des années 70.
La théorie des contrats
La théorie des contrats a pour but de concevoir le meilleur contrat possible entre deux parties, en tenant compte des limites du monde réel :
- Aléa moral. Le comportement d’un agent économique ne peut pas être surveillé 24h/24
- Asymétrie d’information. Une des deux parties peut détenir, et ne pas partager, des informations cruciales
- Incomplétude. Un contrat est par définition imparfait car il est impossible de tout prévoir et mesurer
Le contrat, et sa rédaction, devient ainsi un jeu d’équilibres et son résultat final peut revêtir une multitude de formes.
Les travaux d’ Holmström ont changé la perception des contrats de travail
En 1979, Bengt Holmström publie un article dans lequel il conclut qu’un bon contrat doit lier le salaire à une variété de critères objectifs et mesurables. L’économiste finlandais prend comme exemple le Directeur Général d’une entreprise, dont le salaire serait indexé au cours de Bourse de cette même entreprise : ce serait une mesure dans la bonne direction mais elle ne serait pas encore correcte. Le cours de Bourse pouvant varier en raison de facteurs exogènes (prix du pétrole, taux d’intérêt), le Directeur Général pourrait se voir sanctionné ou récompensé pour ce dont il n’a pas été responsable. Bengt Holmström propose alors un contrat de travail basé sur une évolution comparative des cours de Bourse d’entreprises semblables.
En 1991, l’économiste finlandais apporte une nuance à son modèle de 1979 : certains critères sont mesurables, d’autres ne le sont pas (ou peu). Dès lors, une rémunération indexée sur plusieurs critères peut provoquer une concentration exagérée des travailleurs sur les critères les plus identifiables, au détriment des autres, qui peuvent être tout aussi importants. Dans ce type de situation, une rémunération fixe tend à équilibrer le travail des salariés, en ne les incitant pas à privilégier une tâche au détriment d’une autre.
Oliver Hart a élargi le spectre de réflexion au domaine public
Est-ce que tous les hôpitaux, écoles et prisons devraient être privatisés ? C’est en apportant sa réflexion à cette question qu’Oliver Hart a donné un nouveau souffle à la théorie des contrats dans les années 90.
L’économiste américano-britannique part du principe qu’un système public offre peu d’incitation aux gestionnaires mandatés par l’Etat : leur salaire reste le même si ils décident d’investir dans la qualité des services ou la réduction des coûts. En revanche, un système privatisé fait pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Néanmoins, si la balance penche trop vers la réduction des coûts, la qualité peut beaucoup baisser et poser des problèmes publics.
Oliver Hart a démontré empiriquement en 1997 que la balance tendait à pencher naturellement vers la réduction des coûts dans le cadre d’une privatisation. Cette situation a longtemps été le cas dans certaines prisons américaines, privatisées. Depuis, l’Etat américain a repris le contrôle de toutes ses prisons afin d’éviter des débordements. En conclusion, Hart affirme que les privatisations peuvent être justifiées, du moment que la qualité des services ne baisse pas en-dessous d’un certain seuil.
C’est le 8 décembre à Stockholm que les deux lauréats recevront leurs prix et une récompense, partagée à 50/50, de 8 millions de couronnes suédoises (environ 826.000 €).