La récente frénésie entourant l’intelligence artificielle (IA) a déclenché une vague d’initiatives d’investissement parmi les plus grandes banques d’investissement de Wall Street et les acteurs majeurs du private equity. Lors d’un dîner organisé par des banquiers de Morgan Stanley à New York, la conversation s’est centrée sur les opportunités colossales offertes par l’IA, notamment le financement des infrastructures nécessaires pour soutenir cette nouvelle révolution numérique. Des entreprises de capital-investissement telles qu’Apollo, Ares, Blackstone, et KKR étaient présentes, des noms qui ont récemment émergé comme des rivaux sérieux des grandes banques d’investissement dans le domaine du financement des entreprises.
Les participants ont reconnu que, face à la demande colossale de financements pour créer les infrastructures numériques nécessaires, la coopération entre les banques traditionnelles et les investisseurs privés pourrait être la clé pour répondre aux besoins croissants de financement. Alors que la plupart des discussions autour de l’IA ont été dominées par la spéculation boursière, l’impact sur le financement des dettes et le private equity commence à se faire sentir. Les prévisions estiment que des dépenses massives, jusqu’à un trillion de dollars, seront nécessaires pour financer les centres de données, les réseaux électriques et les infrastructures de communication. Ces investissements sont essentiels pour concrétiser l’énorme potentiel de transformation que l’IA pourrait offrir à des secteurs aussi variés que la médecine, les services à la clientèle et bien plus encore.
Les institutions financières qui ont su reconnaître l’importance de ce phénomène ont commencé à redéfinir leurs stratégies d’investissement. Les entreprises de la Silicon Valley et de Seattle, en particulier, apportent un soutien de poids en tant que grandes consommatrices de ces nouvelles infrastructures, notamment pour le stockage en nuage. Même des figures sceptiques, comme Jim Covello, responsable de la recherche sur les actions chez Goldman Sachs, reconnaissent la nécessité de rester impliqué dans ce secteur, tout en se concentrant sur les entreprises fournissant les infrastructures nécessaires, plutôt que sur l’IA elle-même.
Dans ce contexte, les grandes banques d’investissement cherchent à se positionner sur un marché en pleine expansion. JPMorgan Chase, Deutsche Bank et d’autres ont formé des équipes dédiées pour capter cette vague d’investissements. En parallèle, les acteurs du private equity se précipitent pour financer la construction de ces centres de données et des infrastructures associées. Le financement de projets massifs de centres de données pourrait représenter une part importante du marché du financement des infrastructures dans les années à venir, les prévisions de Deutsche Bank évoquant des opportunités de financement de plusieurs milliards de dollars.
Les géants du private equity comme Apollo et KKR voient dans cette frénésie une opportunité de redresser les bilans des dernières années, marquées par la montée des taux d’intérêt. Les sociétés telles que Blackstone et Brookfield Infrastructure Partners se sont précipitées pour acquérir des centres de données existants tout en jetant les bases de nouvelles constructions. Un accord récent entre BlackRock et Microsoft pour lever jusqu’à 120 milliards de dollars en financement pour les infrastructures de données témoigne de l’ampleur de cette nouvelle opportunité. Les banquiers et les prêteurs privés cherchent activement à s’impliquer dans ce type de projets.
Dans le même temps, la montée en puissance des “hyperscalers”, des entreprises technologiques de premier plan comme Amazon, Google, Microsoft et Apple, qui investissent massivement dans les infrastructures nécessaires pour soutenir l’IA, a exacerbé la demande en capacités de traitement. Ces entreprises ont investi près de 53 milliards de dollars en infrastructures liées à l’IA en seulement trois mois, illustrant l’ampleur de leurs ambitions.
Les financiers sont particulièrement attirés par les investissements dans les centres de données, où de grandes sommes de capital sont nécessaires pour construire des espaces contrôlés climatiquement et dotés d’une alimentation électrique constante. Le financement de projets aussi vastes présente des risques considérables, mais ces projets bénéficient de contrats de location à long terme avec des géants de la technologie, offrant une certaine sécurité pour les prêteurs. Selon les experts de l’industrie, ces investissements peuvent générer des rendements considérables, avec des marges bénéficiaires pouvant atteindre jusqu’à 65% dans des sites comme ceux de Londres.
Toutefois, ces projets massifs ne sont pas sans risques. Les préoccupations relatives à la construction de centres de données spécifiquement dédiés à l’IA, au lieu d’infrastructures plus générales, soulèvent des questions sur la rentabilité à long terme de ces investissements. L’absence d’un “killer app” qui révolutionnerait l’IA, comme l’ont fait les premières applications du Web 2.0, reste un défi. De plus, l’évolution rapide des technologies pourrait entraîner une obsolescence rapide de certains projets, posant un risque pour les investisseurs.
Les projets de construction de centres de données sont également confrontés à un autre défi majeur : la fourniture d’une énergie suffisante pour alimenter ces installations énergivores. Le secteur énergétique, en particulier, fait face à une pression énorme pour étendre la capacité de production afin de répondre à la demande croissante. Selon les prévisions, les dépenses en capital dans le secteur énergétique dépasseront 200 milliards de dollars l’année prochaine, presque le double de ce qu’elles étaient il y a une décennie.
Cela a entraîné une explosion de l’émission de dettes à la fois de qualité investissement et plus risquées, en particulier aux États-Unis, où les prêts à effet de levier connaissent un essor considérable. Les banques et les investisseurs privés se battent pour une part de ce marché en pleine expansion, où les rendements potentiels sont considérables. Les fonds de couverture et les fonds privés cherchent également à capitaliser sur l’hystérie autour de l’IA, en proposant des structures de dettes innovantes liées aux centres de données.
L’émission de titres adossés à des actifs, comme les obligations liées aux centres de données, a également connu un bond, atteignant des niveaux record cette année. Ces titres sont de plus en plus populaires auprès des investisseurs à la recherche d’actifs stables, et les ventes de ces titres ont considérablement augmenté. Les banques, quant à elles, cherchent à adapter leurs offres de financement pour répondre à la demande croissante de projets d’infrastructures liées à l’IA.
Enfin, l’expansion rapide des centres de données soulève des questions concernant leur rentabilité à long terme. Si ces investissements sont largement soutenus par les grandes entreprises technologiques, la question demeure : comment garantir des rendements similaires à ceux des investissements immobiliers précédents, comme les entrepôts ou les centres de distribution ? Les investisseurs ont l’espoir que les sociétés hyperscalers, grâce à leurs bilans solides, permettront à ces projets de réussir et de générer des rendements à long terme. Toutefois, les incertitudes liées à l’IA et à son évolution technologique demeurent un point de vigilance pour tous les acteurs impliqués.
Le marché des financements liés à l’IA reste en pleine expansion, mais les risques technologiques et financiers sont également élevés. Les banques, les investisseurs privés et les entreprises technologiques devront jongler avec ces incertitudes pour saisir les opportunités sans compromettre la sécurité de leurs investissements.