Taxer les jets privés, les clouer au sol tant qu’ils ne sont pas 100% décarbonés, ou leur interdire de voler
s’il existe une alternative en train en moins de 2h30? Les idées fusent depuis quelques semaines pour réguler l’aviation d’affaires, érigée en symbole de la pollution climatique provoquée par une minorité de privilégiés.
Lancée le 21 août par Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), qui veut “bannir” les jets au prétexte qu’ils polluent “dix fois plus qu’un avion”, la polémique a enflé lorsque Clément Beaune, le nouveau ministre délégué aux Transports, s’est dit favorable à une régulation propre à la France avant de rétropédaler en faveur d’une harmonisation au niveau européen.
D’un côté, les ONG et les responsables politiques souhaitent limiter le trafic des jets mais peinent à trouver les moyens d’y parvenir. De l’autre, les compagnies privées et les constructeurs aéronautiques défendent leur poids économique – un peu plus de 100.000 emplois directs et indirects en France, selon l’Association européenne de l’aviation d’affaires (EBAA) – et leurs efforts pour se verdir. “Chacun fourbit ses armes car des propositions sont en cours de discussion à Bruxelles, dans le cadre du plan climat de l’Union européenne “Fit for 55” qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici à 2030, observe l’eurodéputée Karima Delli (EELV). Elles concernent les avions de ligne, mais également les jets privés, avec notamment la proposition de faire sauter l’incroyable exemption de taxe sur le kérosène dont ils bénéficient (à l’exception des vols particuliers de loisir) depuis plus de quinze ans.”
Manne de 5 milliards en 2050
Si elle est votée par les Etats membres, cette taxe s’appliquera dès 2024 pour les sociétés de jets et plus progressivement pour les compagnies aériennes comme Air France-KLM ou Lufthansa. Près de 5 milliards d’euros pourraient être récupérés par an à partir de 2050, calculent les ONG.
Également dans le viseur: la fin des quotas gratuits de “droits à polluer”. Les compagnies aériennes sont tenues de restituer des quotas d’émission pour couvrir leurs émissions. Toutefois, pour éviter de désavantager les entreprises européennes, le système d’échange de quotas d’émission ne s’applique actuellement qu’aux vols effectués dans l’Espace économique européen (EEE) et la plupart des quotas sont distribués gratuitement aux compagnies aériennes.
En juin, les législateurs de la commission de l’Environnement du Parlement européen ont voté en faveur de l’inclusion de tous les vols au départ de l’Europe dans le marché européen du carbone, tout en accélérant l’élimination progressive des quotas de carbone gratuits, ce qui obligerait les compagnies aériennes à payer plus cher pour polluer dès 2025. D’autant que les retards de paiement sont courants. Dans une récente enquête, on découvre comment la société française de location d’avions privés VallJet n’a pas compensé les 12.890 tonnes de CO2 émises en 2021 dans l’espace européen, profitant d’un système encore trop flou et mal contrôlé.
Polémique idéologique?
“Cette polémique sur les jets privés est avant tout idéologique, regrette cependant Charles Clair, président d’Aston Jet, société française de location d’avions privés. Il faut voir la réalité des chiffres: l’aviation commerciale ne représente déjà que 2% des émissions mondiales de CO2 et celles de l’aviation d’affaires tombent à 0,04% au global!”. Certes. Mais calculé par passager, le bilan s’alourdit: selon un rapport de l’ONG Transport & Environnement de 2021, un vol en jet privé d’une heure avec un nombre restreint de personnes à bord peut émettre jusqu’à 2 tonnes de CO2 (contre 8,2 tonnes pour le bilan carbone annuel d’un citoyen européen). Surtout, le secteur est en plein rebond, avec une hausse du trafic de 21% en 2021 par rapport à 2019, d’après l’EBAA.
Alors que faire? De nombreuses sociétés de jets proposent de majorer le prix du billet pour permettre un vol neutre en carbone et parfois même de payer une compensation double, par exemple en plantant des forêts ou en participant à des projets de développement d’énergie durable. Mais ce sont surtout les carburants alternatifs qui pourraient sauver les jets privés –et l’aviation classique– de l’opprobre national. En attendant les avions électriques ou à hydrogène, qui ne seront pas commercialisés avant 2030.
“Ce n’est pas un hasard si ce sont les aéroports du Bourget, première plateforme d’aviation d’affaires et l’aéroport de Clermont-Ferrand, où est installée la flotte de jets du groupe Michelin, qui se sont équipés en premier en SAF (Sustainable Aviation Fuel), relève Xavier Tytelman, spécialiste en aéronautique. Les clients de jets privés sont en grande majorité des cadres ou des patrons d’entreprise de plus en plus soucieux de limiter leur empreinte carbone. Ils sont prêts à payer plus cher les vols pour afficher des bilans carbones favorables.”
Le SAF quatre à dix fois plus onéreux que le kérosène
Ces carburants produits à partir d’huile usagée, d’ordures ménagères ou encore de molécule d’hydrogène propre sont en effet de quatre à dix fois plus onéreux que le kérosène avec lequel ils peuvent être mélangés. Un plein de SAF permet de réduire jusqu’à 85% l’empreinte carbone d’un vol. “Le problème, souligne Philippe Berland, du cabinet de consultant Sia Partners, c’est que leur production est encore très limitée.” De nombreuses ONG pointent le risque d’impacter la chaîne alimentaire ou même environnementale, s’il s’agit de carburant issu d’huile de palme.
En 2021, environ 100.000 tonnes de SAF ont été produites dans le monde, mais il est prévu que l’offre passe à plus de 300 millions de tonnes par an d’ici à 2050. Pour inciter les Etats à accélérer la tendance, l’Union européenne veut imposer des quotas aux compagnies aériennes. A partir de 2025, ils devraient être de 2%, avant d’atteindre 37% en 2040 et 85% en 2050. Il faudra donc attendre encore quelques années avant d’avoir des jets 100% écolos.