La fête est gâchée. En cette rentrée, les patrons, réunis à l’hippodrome de Longchamp pour la traditionnelle université d’été du Medef, sont frustrés. Car si l’économie repart plus fort que prévu, ils ont toutes les peines du monde à recruter. “Le plus grand danger pour l’économie française aujourd’hui, ce sont d’un côté les pénuries de matières premières et surtout les difficultés à recruter”, a affirmé Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, dans son discours d’ouverture du grand raout patronal. Et d’ajouter: “La France est le seul pays de l’OCDE où le taux de chômage structurel est au-dessus de 7%”, tandis que le taux d’emploi des personnes en âge de travailler était de 66%, contre 76% en Allemagne, au premier trimestre.
Plusieurs indicateurs éclairent le phénomène. Selon la Dares, direction statistique du ministère du Travail, le taux de postes non pourvus dans les entreprises de plus de 10 salariés a bondi de 21% au deuxième trimestre 2021. Soit 264.000 emplois vacants ! Du jamais vu depuis 2015. Même son de cloche de la Banque de France qui affirme dans sa dernière enquête récemment publiée qu’une entreprise sur deux à des difficultés de recrutement. Ce qui pourrait freiner la reprise : devant les entrepreneurs, Bruno Le Maire, le
Les salariés boudent la restauration
Dans les travées de l’hippodrome de Longchamp, tous les patrons évoquent leur galère pour trouver de la main-d’œuvre. Et le secteur le plus touché est celui de l’hôtellerie-restauration: à la suite de la crise sanitaire environ 110.000 salariés des bars et restaurants se sont reconvertis. Conséquence, “en Vendée, des restaurateurs situés sur le littoral ferment actuellement deux jours par semaine, faute de serveurs, avance Guylaine Bossis, vice-présidente du Medef Vendée. C’est du jamais vu en période estivale.”
Mêmes difficultés dans le bâtiment. D’après Pôle emploi, 54% des boîtes ont un mal de chien à embaucher. C’est le cas pour Franck Perrin-Morel, à la tête de Macé, une entreprise qui installe des cloches, et président du Medef Côtes d’Armor: “On a des jobs en CDI à proposer mais on ne trouve pas de candidats, témoigne-t-il. C’est dommageable pour le business car nos carnets de commandes sont pleins. En un mot, c’est rageant de faire attendre des clients parce que les gens ne veulent pas travailler et préfèrent rester au chômage.”
Urgent d’appliquer la réforme de l’assurance chômage
A ses côtés, Alban Ragani, numéro un du Medef dans le Morbihan et patron d’une boîte de sécurité privée de 400 personnes, Securiteam, basée à Lorient, ne décolère pas. “Tous les jours je refuse des clients car je n’ai pas le personnel pour assurer les commandes, explique-t-il. Pourtant avec la crise du Covid et la mise en place du passeport sanitaire, il y a du boulot à foison. Je suis prêt à embaucher une trentaine de personnes en CDI. Mais pas de candidat !”
Tous les deux attendent le gouvernement au tournant : “La réforme de l’assurance chômage est indispensable, lâchent-ils de concert. Aujourd’hui, on a plus intérêt à rester chez soi que de travailler. Et il n’y a pas trente-six solutions : il faut réduire les allocations pour que l’incitation à reprendre un job soit plus forte.” C’est aussi le souhait de Geoffroy Roux de Bézieux qui a mis la pression sur l’exécutif pour que le texte soit appliqué au plus vite. Normalement il doit rentrer en vigueur le 1er octobre prochain mais le Conseil d’Etat, qui a déjà retoqué la réforme pour cause “d’incertitudes économiques”, doit se prononcer bientôt sur le fond.
La crainte des hausses de salaire
Pour s’en sortir, les patrons tentent de trouver des parades. “On a recours à l’apprentissage, ce qui nous permet de former dans la durée des salariés, détaille Jean-Michel Dupuis, directeur des ressources humaines de AGC Glass France, une entreprise de verrerie. Ça nous permet aussi de les fidéliser.” L’entreprise finance aussi des formations maison de trois mois sur site à des personnes n’ayant pas les qualifications nécessaires. “Mais même avec cela, c’est compliqué”, poursuit-il.
Certains chefs d’entreprise se posent carrément la question de délocaliser une partie de leur activité. “Le phénomène des pénuries de manœuvre n’est pas nouveau mais il s’est aggravé avec la crise sanitaire, analyse Jacques Thibon, fondateur de Xellions, une entreprise de gestion de documents d’entreprise, qui réalise 80 millions de chiffre d’affaires et emploie 800 salariés. La raison est simple, on a tous souffert en même temps et on redémarre tous au même moment. Mais si ça perdure je vais être contraint de faire de l’offshoring…”
L’autre conséquence, c’est une possible augmentation des salaires en 2021 pour attirer les salariés. Ce qui pourrait ruiner la compétitivité des entreprises, selon les patrons… La reprise n’est décidément pas un long fleuve tranquille.