C’est un rapport qui va provoquer quelques remous dans les milieux diplomatiques. Deux membres de la commission des finances du Sénat, le centriste Vincent Delahaye et le socialiste Rémi Féraud se sont penchés sur les rémunérations du ministère des Affaires étrangères et tirent la sonnette d’alarme: alors que les effectifs ont baissé de 9,4% en dix ans, la masse salariale a dérapé de 20%. La faute à un système d’indemnités très généreux et complètement illisible.
Les diplomates s’en plaignent souvent, le Quai d’Orsay a largement été mis à contribution dans la maîtrise des effectifs de l’Etat, initiée par Nicolas Sarkozy. Depuis 2008, il a perdu 1.222 postes. Mais l’effort a reposé, en grande partie, sur les agents ayant des contrats de droit local, c’est-à-dire du pays où ils résident. En particulier des employés de catégorie C, travaillant sur des fonctions support (entretien, chauffeurs…) et payés plus chichement.
A l’inverse, les hauts fonctionnaires ont été plutôt épargnés: les effectifs des cadres de catégorie A et A+ ont même augmenté globalement alors que le Quai ne sait pas toujours quoi en faire. “Si le ministère évalue les personnels de catégorie A+ sans affectation à environ 18 personnes, d’autres agents A+ sont affectés à des missions souvent mal définies qui ne correspondent pas à leur cœur de métier”, écrivent les sénateurs.
8.845 euros net de salaire moyen à l’étranger
Dans le même temps, la masse salariale a augmenté de 796 à 954 millions d’euros, faisant grimper le coût moyen d’un agent de 35% ! Une progression exponentielle liée à l’évolution de l’Indemnité de Résidence à l’Etranger. L’IRE est versée selon des modalités de calcul très complexes correspondant à plusieurs critères: fonctions occupées, parités de change, coût de la vie locale, situation sécuritaire du pays… Les directeurs du Quai s’appuient dessus pour décider des ajustements lors de réunions annuelles.
Ce système se caractérise par sa grande opacité, au contraire de certains de nos voisins. “Publiée et disponible sur Internet, la rémunération à l’étranger des diplomates allemands fait l’objet d’une transparence totale vis-à-vis du Parlement mais également de l’opinion publique”, note le rapport. Le dispositif est d’ailleurs totalement illisible pour les agents eux-mêmes. Surtout, il s’est avéré très inflationniste et particulièrement avantageux pour les hauts fonctionnaires.
À l’étranger, un agent du Quai est payé, en moyenne, 8.845 euros net par mois, et un quart des diplomates gagne plus de 10.459 euros. Les rémunérations peuvent s’envoler au-delà des 30.000 euros pour des postes difficiles en Irak ou en Afghanistan. Mais elles atteignent aussi des hauts niveaux en Europe où les conditions de vie sont pourtant proches de l’Hexagone.
Des indemnités exonérées d’impôt
Un ambassadeur y perçoit 16.000 à 17.000 euros, soit plus que le chef de l’Etat, qui émarge à 15.140 euros brut. “Vos rapporteurs spéciaux estiment ces niveaux de rémunération particulièrement élevés, alors même que les chefs de postes diplomatiques et les consuls généraux sont logés et, le plus souvent, nourris, compte tenu de leurs obligations professionnelles. Une réflexion pourrait être engagée sur la prise en compte des avantages matériels dans la formule de calcul de l’IRE.”
Pire, les évolutions successives des IRE ont généré de fortes disparités entre les pays, parfois déconnectées de la réalité de la vie sur place. Les ajustements ne se font quasi qu’à la hausse, il est rare que l’IRE baisse même si l’effet de change est favorable à l’expatrié. Du coup, les montants versés sont devenus, en moyenne, 25 % supérieurs à ce qu’ils seraient si l’on appliquait strictement la formule officielle. Le “bonus” atteint même 57% en Moldavie, 67% en Inde ou encore 75% en Afrique du Sud.
Cerise sur le gâteau: l’IRE n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu. Ainsi, un secrétaire des affaires étrangères vivant seul à l’étranger, touche 30.000 euros de plus par an grâce à cet avantage. Le manque à gagner pour les caisses de l’Etat est compris entre 100 et 150 millions d’euros par an. “Dans la mesure où l’IRE est forfaitisée et ne fait pas l’objet d’une justification de dépenses, vos rapporteurs spéciaux s’étonnent de son absence de fiscalisation, dont le coût pour l’État est non négligeable.”
Un effort revu à la baisse
Conscient des dérives, Matignon a imposé, en 2018, un objectif de baisse de la masse salariale des personnels de l’Etat à l’étranger. Il a annoncé, dans un premier temps, une diminution de 10% d’ici 2022. Mais l’effort demandé est finalement tombé à 7,9%. Le Quai d’Orsay s’en sort même mieux avec une baisse de seulement 5,7%, contre 6,6% pour les autres ministères et surtout 17,2% pour les opérateurs publics “satellites”, comme Business France ou Atout France.
Pour atteindre ces objectifs, Matignon veut que les ambassadeurs soient les véritables managers de l’Etat à l’étranger, et leur demande de faire eux-mêmes des propositions de réorganisations. Mais, pour l’instant, les résultats ne sont pas à la hauteur des annonces, selon le rapport. Les ambassadeurs se heurtent notamment à la réticence de leur propre administration centrale. Ainsi, le ministère a empêché l’ambassadeur de Finlande de nommer comme premier secrétaire, un contractuel recruté localement à la place d’un diplomate du Quai.
Au passage, les sénateurs déplorent que la restructuration en cours ne soit pas l’occasion de remettre en cause le principe de l’universalité du réseau diplomatique français, l’un des plus étendus au monde. “La contradiction qu’il peut y avoir entre l’intangibilité de ce principe et la réduction de la masse salariale peut conduire à un saupoudrage des moyens jugé insatisfaisant par vos rapporteurs spéciaux. Il aurait été plus adéquat de laisser ouverte la possibilité de réexaminer la nécessité de la présence de tel ou tel poste.”