L’annonce potentielle de nouveaux tarifs douaniers de 25 % sur les importations canadiennes par l’administration américaine a provoqué une onde de choc au sein des secteurs économiques du Canada. Ces mesures, dans la lignée des politiques protectionnistes déjà observées lors de la première présidence Trump, pourraient profondément perturber les chaînes d’approvisionnement intégrées, réduire la compétitivité des produits canadiens et provoquer des ralentissements économiques régionaux.
Métaux primaires : une exposition directe
Les métaux primaires, notamment l’acier et l’aluminium, constituent environ 20 % des exportations canadiennes vers les États-Unis, représentant une valeur de plus de 17 milliards de dollars en 2023. Une taxe de 25 % augmenterait considérablement le coût de ces produits sur le marché américain, rendant l’acier canadien moins compétitif face à des producteurs européens ou asiatiques.
L’impact serait particulièrement marqué dans des régions comme l’Ontario et le Québec, où se concentrent les industries métallurgiques. L’industrie de l’acier à Hamilton, en Ontario, par exemple, emploie plus de 20 000 personnes directement et indirectement. Une réduction des exportations pourrait entraîner des pertes d’emploi estimées à 10-15 % si les droits de douane sont maintenus sur une période prolongée.
Lors de la première vague de tarifs sur l’acier en 2018, les exportations canadiennes avaient chuté de 10 % en volume au cours des six premiers mois. Des analyses récentes prévoient que de nouvelles taxes pourraient réduire la valeur des exportations de métaux primaires de 3 à 5 milliards de dollars annuels.
Secteur automobile : un écosystème en danger
Le secteur automobile est l’un des plus intégrés entre le Canada et les États-Unis, avec près de 85 % des véhicules fabriqués au Canada exportés vers les États-Unis. De plus, environ 20 % des pièces automobiles traversent la frontière plusieurs fois avant d’être assemblées dans un véhicule final. Une taxe de 25 % entraînerait une hausse des coûts de production, estimée à environ 1 500 $ par véhicule, selon les prévisions de l’Association des fabricants d’automobiles du Canada.
Des zones comme Windsor, en Ontario, dépendent largement de la production automobile. Cette ville, souvent appelée la « capitale automobile du Canada », pourrait voir la fermeture d’usines ou des réductions d’effectifs, touchant environ 40 000 emplois directs et indirects liés à ce secteur.
Une perturbation dans ce secteur entraînerait également une baisse des revenus pour les fournisseurs locaux de pièces et les services annexes (logistique, maintenance). En conséquence, les pertes globales pour le secteur automobile canadien pourraient atteindre 7 milliards de dollars annuels, avec une baisse significative des investissements étrangers.
Énergie : une surcapacité risquée
En 2023, environ 94 % des exportations de pétrole brut canadien, soit une valeur de 100 milliards de dollars, étaient destinées aux États-Unis. Une taxe douanière de 25 % sur les exportations d’énergie pourrait rendre le pétrole canadien moins compétitif, surtout dans un marché où les producteurs américains de schiste offrent déjà des alternatives à moindre coût.
Si la demande américaine pour le pétrole canadien chute de seulement 10 %, cela pourrait créer une surabondance d’environ 400 000 barils par jour. Le prix du Western Canadian Select (WCS), déjà vendu à un rabais par rapport au Brent et au WTI (West Texas Intermediate), pourrait chuter de 10 à 15 dollars par baril, exacerbant les difficultés des producteurs.
La baisse des revenus freinerait les investissements dans des projets de développement, y compris dans les énergies renouvelables. Cela pourrait ralentir la transition énergétique et la compétitivité à long terme du Canada dans le domaine des technologies propres.
Chimie et plastiques : une rentabilité en jeu
Le Canada exporte environ 65 % de sa production chimique et plastique vers les États-Unis, générant des revenus de 38 milliards de dollars en 2023. Une taxe de 25 % pourrait augmenter les coûts pour les acheteurs américains, provoquant une réduction de la demande.
L’augmentation des coûts de production due aux tarifs réduirait les marges bénéficiaires, limitant la capacité des entreprises à investir dans la recherche et le développement. Cela pourrait nuire à la compétitivité à long terme de ce secteur, qui emploie plus de 87 000 Canadiens.
Forêts et agriculture : des secteurs clés fragilisés
Le bois d’œuvre canadien est déjà soumis à des droits compensatoires aux États-Unis, atteignant 8,99 % en 2023. Une taxe supplémentaire de 25 % augmenterait les coûts des matériaux de construction, réduisant la demande américaine pour les exportations canadiennes, qui s’élèvent actuellement à 16 milliards de dollars par an. Des pertes d’emplois pourraient dépasser 12 000 postes dans les zones rurales.
Le Canada exporte annuellement pour 32 milliards de dollars de produits agricoles et alimentaires vers les États-Unis. Les produits laitiers, fortement protégés par des quotas et des subventions au Canada, pourraient devenir des cibles spécifiques de tarifs. Les producteurs de viande et de céréales, quant à eux, pourraient perdre des parts de marché au profit des producteurs américains ou sud-américains.
Réponses stratégiques
Le Canada pourrait réduire sa dépendance aux États-Unis en élargissant ses partenariats commerciaux avec l’Europe (via l’Accord économique et commercial global – AECG) et l’Asie-Pacifique (via le Partenariat transpacifique global et progressiste – PTPGP). Par exemple, les exportations vers l’Europe ont augmenté de 7 % par an depuis 2020, mais restent encore marginales par rapport aux exportations vers les États-Unis.
Encourager la production locale et les chaînes d’approvisionnement internes pourrait renforcer la résilience économique. Les incitations fiscales pour l’industrie manufacturière et l’agriculture durable seraient des leviers importants pour soutenir ces secteurs face aux chocs externes.
Le gouvernement fédéral pourrait envisager des subventions directes aux secteurs les plus touchés, similaires au soutien de 2 milliards de dollars accordé à l’industrie automobile en 2009. Par ailleurs, des négociations pour des exemptions sectorielles ou des réductions tarifaires bilatérales pourraient réduire les impacts économiques.
D’après des estimations du Conference Board du Canada, si des tarifs de 25 % étaient appliqués sur les principaux secteurs exportateurs, le PIB canadien pourrait se contracter de 0,5 à 1 % dès la première année. Cela représenterait une perte économique de 10 à 20 milliards de dollars, affectant directement les revenus des ménages et les investissements dans tout le pays.