Les vrais effets de la réforme des retraites sur les femmes et les plus pauvres
L’heure de vérité a sonné pour la réforme des retraites. A deux mois et demi de l’entrée en vigueur d’un texte rejeté par une écrasante majorité de Français, une étude inédite révèle son impact sur la population par genre et niveau de richesse. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a en effet profité de son rapport annuel, à paraître le 22 juin, pour commander au service statistique du ministère des Affaires sociales (Drees) une vaste évaluation “des effets redistributifs” de la loi promulguée le 14 avril dernier.
A n’en pas douter, ces données seront scrutées à la loupe. Durant cinq mois, la bataille entre partisans et opposants à la réforme a fait rage sur le thème de la justice sociale et du sort réservé aux femmes. Les syndicats ont affiché un front uni contre une réforme “profondément injuste”, tandis que la Première ministre Elisabeth Borne n’a cessé de mettre en avant les mesures profitant aux plus modestes.
Alors, les femmes et les pauvres sont-ils réellement lésés par la réforme des retraites? En réalité, tout dépend de la génération retenue et du critère privilégié. En observant le temps passé à la retraite, tous les travailleurs sont perdants. Et pour cause: le cœur de la réforme consiste à reculer l’âge légal de départ de 62 à 64 ans et à accélérer l’allongement de la durée de cotisation requise pour obtenir une pension à taux plein.
Pour autant, ce sont bien les femmes qui supporteront le décalage le plus fort de leur âge de départ à la retraite. En moyenne, les femmes nées en 1966 verront ainsi leur temps à la retraite diminuer de 7,3 mois, contre 6,2 mois pour les hommes. Et l’écart va se creuser au fil des générations puisque celles nées en 1984 subiront encore une baisse de 7,3 mois quand les hommes verront leur perte limitée à 4,6 mois.
Cette inégalité entre femmes et hommes trouve son origine dans deux mesures de la réforme. Les nouvelles possibilités de départ anticipé offertes aux personnes ayant une “carrière longue” bénéficieront majoritairement à des hommes. Et le report de l’âge légal à 64 ans empêchera de nombreuses femmes ayant des trimestres validés pour enfant de partir plus tôt. Ce sont d’ailleurs les mères de trois enfants qui verront leur âge de départ le plus repoussé (jusqu’à 10 mois pour celles nées en 1972).
Une hausse de la pension moyenne plus forte pour les femmes
En toute logique, cet allongement de la durée de cotisation va se traduire par une plus forte hausse des pensions des femmes. L’augmentation moyenne s’élève à 1,9% pour les femmes nées en 1966 et à 3,4% pour celles nées en 1984 (soit respectivement 27 euros et 48 euros pour une pension brute moyenne de 1.425 euros en 2021), contre respectivement 0,7% et 1,7% pour les hommes. L’instauration d’une surcote pour les mères ayant validé une carrière complète dès 63 ans tirent les montants vers le haut. Avec une augmentation moyenne allant jusqu’à 5 % pour les mères de trois enfants nées en 1984. Au total, en soustrayant la perte des mois de retraite à la hausse des pensions, les femmes seraient moins pénalisées que les hommes, relève le COR, voire seraient “gagnantes à la réforme” pour la génération née en 1984.
En se penchant sur l’impact de la réforme pour les Français les plus pauvres, l’étude révèle un fait plus gênant pour le gouvernement. Au fil des générations, ce seront les retraités les plus modestes qui verront leur temps à la retraite le plus réduit. Car si pour les personnes nées en 1966, le décalage de l’âge de départ est de 5,7 mois en moyenne pour les 25 % des retraités les plus pauvres, contre 6,9 mois pour les 25% les plus riches, la tendance s’inverse sévèrement pour les générations suivantes.
En moyenne, le quart des retraités les plus modestes nés en 1984 perdront ainsi 7,5 mois de retraite, contre seulement 4,1 mois pour les 25% des retraités les plus aisés. Un écart principalement dû au report de l’âge de départ des chômeurs qui attendent l’âge légal pour prendre leur retraite et vont donc subir de plein fouet le recul de 62 à 64 ans.
Les pensions les plus modestes bénéficient de la réforme
Mais, là encore, ce recul de l’âge de départ va de pair avec une hausse des pensions. Grâce à la revalorisation de la retraite minimum à 85% du smic et au maintien de l’âge d’annulation de la décote à 67 ans, les pensions du quart des retraités les plus pauvres vont augmenter de respectivement 6,4%, 9,6% et près de 15% pour les personnes nées en 1966, 1972 et 1984 (soit 64, 96 et 150 euros pour une pension de 1.000 euros), alors que les gains des pensions des retraités les plus riches ne dépassent pas 0,2%.
Et même une fois déduite la moindre durée passée à la retraite liée au report de l’âge de départ, les gains demeurent de 4,7%, 7,2% et 12%. “Quelle que soit la génération, les retraités aux pensions les plus modestes seraient bénéficiaires de la réforme, conclut le Conseil d’orientation des retraites, en se basant sur l’étude de la Drees. A contrario, les 25% de pensions les plus élevées seraient pénalisées.” Un nouvel argument (de poids) dans le débat.