Le matin du 19 mars 1997, Michael de Guzman, géologue en chef de la société minière canadienne Bre-X Minerals, monte à bord d’un hélicoptère pour se rendre sur un site reculé en Indonésie. Cette destination, il la connaît bien, ayant affirmé y avoir découvert d’immenses gisements d’or. Pourtant, cette fois-ci, de Guzman n’arrivera jamais à destination.
À peine vingt minutes après le décollage, la porte arrière gauche de l’hélicoptère s’ouvre, et de Guzman plonge vers la dense forêt en contrebas. Le PDG de Bre-X annonce alors que de Guzman s’est suicidé, épuisé par le paludisme et une hépatite B.
Dix ans plus tard, la journaliste canadienne Suzanne Wilton est envoyée par le Calgary Herald pour enquêter sur cette mystérieuse mort. Aujourd’hui, elle reprend cette affaire pour une série de podcasts, cherchant à comprendre ce qui s’est réellement passé avant ce tragique vol en hélicoptère.
Michael de Guzman, né aux Philippines le 14 février 1956, était un homme complexe, avec plusieurs épouses dans différents pays. Passionné par le karaoké, la bière et les clubs de strip-tease, il portait souvent de l’or et rêvait de faire fortune en Indonésie, pays riche en minerais.
Dans les années 1990, l’Indonésie est perçue comme une terre d’opportunité pour les prospecteurs d’or, grâce à ses riches ressources minérales naturelles. John Felderhof, surnommé l’Indiana Jones des géologues, croit fermement qu’un site reculé à Busang, dans la province de Kalimantan Est, sur l’île de Bornéo, recèle d’immenses réserves d’or. Cependant, il manque de fonds pour mener à bien ses recherches.
En avril 1993, Felderhof conclut un accord avec David Walsh, PDG de Bre-X, pour attirer des investisseurs. Walsh, un visionnaire, doit vendre le rêve d’un site rempli de trésors enfouis. Felderhof, opérant sur le terrain, sollicite de Guzman pour mener les recherches. Avec la date limite du 18 décembre 1993 imposée par le gouvernement indonésien pour effectuer des forages, les résultats sont décevants. À deux jours de l’échéance, de Guzman prétend avoir eu une révélation en rêve sur l’emplacement exact du trésor.
Le forage à cet endroit dévoile des traces d’or. Les estimations de la quantité d’or augmentent, tout comme l’enthousiasme des investisseurs. Le prix des actions de Bre-X passe de 20 cents à 280 dollars canadiens, portant la valeur de la société à 6 milliards de dollars canadiens. Beaucoup de petits investisseurs canadiens mettent leurs économies dans l’entreprise, espérant profiter de cette ruée vers l’or moderne.
En 1997, le président indonésien Suharto décide qu’une petite entreprise comme Bre-X ne peut pas exploiter seule ce site lucratif. Un accord est donc conclu avec la société américaine Freeport-McMoRan, qui doit vérifier la présence d’or avant d’assumer les risques financiers. Les tests de Freeport révèlent une absence totale d’or. Confrontés à ces résultats, Walsh et Felderhof envoient de Guzman, alors à Toronto, rejoindre l’équipe de Freeport en Indonésie pour s’expliquer.
À Singapour, de Guzman passe du temps avec son épouse Genie et leurs enfants avant de rejoindre la ville de Balikpapan, puis Samarinda, plus proche du site de Busang. Le 19 mars, il embarque seul dans un hélicoptère. À 10h30, de Guzman est retrouvé mort. Des notes manuscrites de suicide sont découvertes dans l’hélicoptère et, quatre jours plus tard, un corps est retrouvé dans la jungle. La valorisation de 6 milliards de dollars de Bre-X s’évapore rapidement.
Une enquête confirme que les échantillons de roche avaient été falsifiés. Personne n’a jamais été tenu pour responsable. Walsh, décédé en 1998, a toujours nié toute implication. En 2007, Felderhof est acquitté d’accusations de délit d’initié et meurt en 2019.
De Guzman s’est-il suicidé pour éviter de révéler qu’il était l’architecte de cette fraude ? Les notes de suicide laissent planer le doute. Certains, comme le cousin éloigné de Felderhof, suggèrent que de Guzman n’aurait jamais pu les écrire. Le Dr Benito Molino, membre de l’équipe d’enquête des Philippines, affirme que les photos du corps montrent des signes de strangulation. De Guzman aurait été étranglé et jeté de l’hélicoptère. Le Dr Richard Taduran, anthropologue médico-légal, note que le corps semble être mort depuis plus de quatre jours, laissant supposer qu’il pourrait ne pas être celui de de Guzman.
Genie, l’épouse de de Guzman, affirme que le corps retrouvé avait des dents intactes, alors que son mari portait des prothèses dentaires. Les dossiers dentaires de de Guzman n’ont jamais été divulgués. Mansur Geiger, un ami de Genie, croit que de Guzman est vivant et se cache en Amérique du Sud. De Guzman aurait-il orchestré cette disparition ? Son fils, également géologue, veut poursuivre le travail de son père, mais de manière honnête. “Peut-être que je pourrais ouvrir mes propres mines”, déclare Michael de Guzman Jr., “et devenir un meilleur Mike de Guzman.”
Les investigations sur la mort de de Guzman et l’escroquerie de Bre-X prennent une dimension internationale. Les autorités canadiennes, indonésiennes et les entreprises impliquées mènent des enquêtes approfondies. Malgré les efforts déployés, aucune personne n’est tenue pénalement responsable de la fraude. La complexité de l’affaire, les multiples juridictions impliquées et le manque de preuves concrètes rendent les poursuites judiciaires difficiles.
L’affaire de Guzman ne cesse de fasciner et de susciter des interrogations. En reprenant l’enquête pour son podcast, Suzanne Wilton espère apporter de nouvelles lumières sur ce mystère non résolu. De Guzman était-il réellement à l’origine de l’escroquerie ou n’était-il qu’un pion dans un jeu beaucoup plus vaste ? La vérité, presque trente ans plus tard, reste insaisissable.
L’affaire Bre-X demeure l’un des plus grands scandales de l’histoire minière, un mélange de rêve, de tromperie et de tragédie. La mort mystérieuse de Michael de Guzman et les nombreuses questions sans réponse continuent de hanter ceux qui cherchent la vérité. Alors que les cicatrices financières et émotionnelles persistent, l’industrie minière mondiale a tiré des leçons importantes de cette affaire, mettant en lumière l’importance de la transparence et de la rigueur dans les pratiques d’exploration minière.