Les nouvelles tombent avec une régularité de métronome. Février 2021 : Moderna a produit les premières doses d’un nouveau vaccin contre le Covid-19, nom de code mRNA-1273.351, qui protège contre le variant sud-africain. Mars : Mo-derna étudie un vaccin pour les enfants âgés de 6 mois à 11 ans aux Etats-Unis et au Canada, les premiers ont déjà reçu une injection.
Avril ? On ne sait pas encore quelle avancée réserve Moderna à la planète Covid, mais une chose est presque sûre : ce sera une bonne nouvelle. A Boston et dans ses environs, cœur de la Biotech Valley, Moderna n’était qu’une start-up de biotechnologie parmi un millier d’autres, délaissée par les actionnaires et promise par beaucoup à l’échec. Normal : le secteur est incroyablement risqué. Pour un investisseur, les biotechnologies demandant des années et des millions de dollars d’efforts pour, une fois sur cent si tout va bien, produire un hit.
Jeu égal avec les géants
Au début de l’année 2020, l’action Moderna s’échangeait pour moins de 23 dollars. Elle en vaut aujourd’hui 6,5 fois plus. Et son PDG, le Français Stéphane Bancel, est milliardaire sur le papier. En prenant la tête de cette société fondée pour exploiter l’ARN messager (ARNm), en 2011, cet ancien de bioMérieux avait prévenu son épouse : la probabilité que cette technologie de rupture soit synonyme de jackpot pour Moderna était au mieux de 5 %. Mais si Bancel gagnait son pari, elle changerait le cours de la médecine. C’est chose faite. Sous la houlette de ce patron incroyablement exigeant, dur même, aux dires de ses détracteurs, Moderna a aligné les prouesses, concevant son vaccin en 42 jours, faisant jeu égal avec le géant Pfizer et laissant sur le carreau les Sanofi, Merck et Pasteur.
La start-up, qui ne comptait que 800 salariés avant de se lancer dans la bataille contre le coronavirus, vient d’annoncer qu’elle augmentait ses capacités de production et se-rait en mesure de produire 1,4 milliard de doses en 2022, après 700 millions à 1 milliard cette année. Entre-temps, il faut quand même le rappeler, elle a reçu un immense coup de pouce du gouvernement américain. Celui-ci a dégagé 2,5 milliards de dollars d’argent fédéral pour développer, produire et vendre son vaccin, et ses épidémiologistes, experts budgétaires et logisticiens – certains prêtés par le Département de la Défense – ont épaulé les troupes de Moderna. Le résultat : un petit miracle.
Qui se souvient encore du titre du long article du Wall Street Journal , le 1er juillet dernier ? « Voyage à l’intérieur de Moderna, le favori du vaccin Covid qui n’a pas fait ses preuves et est dirigé par un PDG sans pitié. » L’article commençait ainsi : « Au début de cette année, peu de gens, dans le monde de la biotech, avaient entendu parler d’une compagnie de la région de Boston au nom New Age et avec une approche non prouvée pour produire des médicaments. Et la plupart de ceux qui connaissaient Moderna doutaient de ses chances. » Bancel, ce jour-là, a dû sourire… Sa firme comptait une vingtaine de vaccins et traitements en développement, dont aucun ne se-rait commercialisé avant deux ans, dans le meilleur des cas. Et aucun essai clinique de phase 3, pour les vaccins, n’avait été mené.
L’heure de la biotech
Mais, avec le Covid-19, ses dix années de patience allaient payer. Son aventure incroyable est bien plus que le triomphe d’une start-up. Elle marque l’arrivée en majesté de la biotechnologie dans la grande industrie pharmaceutique. « La prochaine Big Pharma sera une biotech » , annonçait Bancel à Challenges en novembre dernier. Et « si vous me demandez si Moderna sera dix fois plus gros dans dix ans – voire plus gros qu’une Big Pharma comme Pfizer ou Sanofi aujourd’hui -, oui c’est totalement possible. » Pourquoi ? Parce qu’ « avec la biotech on peut faire des médicaments avec un tiers des protéines connues de l’ADN humain ; pas avec les deux tiers restants. Avec l’ARNm, on peut tout faire. » Même transformer une cendrillon à laquelle plus grand monde ne croyait en milliardaire au carrosse rutilant.