Une situation d’autant plus cocasse qu’en avril dernier, les professionnels marocains du secteur agricole avaient manifesté près du siège de la délégation de l’Union européenne (UE) à Rabat, protestant contre l’adoption finale par les instances européennes d’un acte délégué, prévoyant notamment la modification du régime des prix d’accès aux marchés de l’UE des fruits et légumes marocains.
Mais désormais, la roue pourrait avoir tourné …
En effet, les produits alimentaires européens et américains ne sont désormais plus les bienvenus dans le marché russe. Des décisions certes politiques mais également à fort enjeux économiques, les exportations de produits agricoles européens vers la Russie ayant représenté 11,8 milliards d’euros en 2013, soit 9,9% du total des exportations de l’UE vers la Russie.
Selon Omar Mounir, président de l’Association professionnelle des exportateurs des fruits et des légumes (APEFL) du Maroc, il est toutefois encore trop tôt pour parler d’une aubaine pour les exportateurs marocains.
En Espagne, les professionnels penchent déjà dans ce sens, estimant que le royaume a désormais toutes les chances de se positionner, notamment avec sa tomate. Même son de cloche à l’Association marocaine des exportateurs. « Nos amis russes nous ont contactés pour nous informer de la nouvelle avant qu’elle ne soit publique. Nous nous préparons donc à une offensive », a confié le président de l’Association marocaine des exportateurs, Hassan Sentissi El Idrissi, à la presse marocaine. Il estime même que cet embargo « est une occasion unique pour le royaume d’intégrer le marché russe une bonne fois pour toutes ».
L’enjeu ? Selon des statistiques officielles rapportées par le site Russia Beyond The Headlines, Moscou achète environ 70% de ses fruits à l’étranger et 32% de ses légumes proviennent d’Europe …
L’APEFEL insiste quant à elle sur la nécessité de renforcer la logistique pour espérer grignoter des parts de marché, car les opérateurs doivent actuellement se contenter d’une seule desserte maritime par semaine pour un marché de plus de 147 millions d’habitants …
Selon Saad Slimani, le secrétaire général de l’APEFEL, le défi de la logistique est « extrêmement » décisif pour le royaume. Actuellement en effet, une seule desserte hebdomadaire, celle d’Agadir/Saint-Petersburg, relie les deux pays. « C’est le gros problème que nous avons avec le marché russe. Avec une seule desserte par semaine, vu son importance, c’est comme si on est quasi-absent », estime ainsi M. Silimani, soulignant que le transport maritime reste le mieux indiqué en raison de la distance entre le Maroc et le Russie.
Si pour le président de l’APEFL, les relations économiques et commerciales entre Rabat et Moscou sont au beau fixe et devraient s’améliorer davantage, il estime par ailleurs qu’au delà de la situation actuelle, le positionnement du Maroc sur le marché russe n’a pas été une simple opportunité économique mais plutôt une nécessité.
Car en avril dernier, un conflit politique et économique était à deux doigts d’émerger entre l’Union européenne et le royaume chérifien.
Le Chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, avait alors demandé à l’UE de « trouver rapidement des solutions pour préserver les acquis contractuels du Maroc et maintenir les flux des exportations de fruits et légumes » marocains.
Selon le Maroc, via sa démarche unilatérale, l’UE enfreint l’article 20 de l’accord agricole bilatéral, qui veut que la partie qui souhaite modifier sa politique en informe à l’avance le Comité d’association. D’après Rabat, l’UE viole ainsi ses engagements vis-à-vis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le Premier Ministre s’alarmait tout particulièrement des conséquences des mesures prises par Bruxelles « sur une filière marocaine et sur des opérateurs qui, avec un partenariat aussi important avec l’UE, ont investi et cru en des débouchés sérieux ». Précisons que le projet de réforme de l’organisation des marchés consiste à introduire des restrictions sur les modes de dédouanement des produits agricoles marocains soumis à l’entrée des marchés européens.
Le ministre marocain de la Communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi,avait indiqué pour sa part que cette décision pourrait engendrer des « retombées catastrophiques sur les conditions d’accès des producteurs de fruits et légumes marocains, notamment la tomate, aux marchés européens ». Selon lui, l’adoption finale de cet acte entraînerait un important recul des exportations de la tomate, « voire l’effondrement de ce créneau, avec les importantes répercussions sociales et économiques éventuelles qu’elle risque de provoquer, notamment en termes de perte emplois ».
En octobre 2012, l ’entrée en vigueur de l’accord agricole entre les deux parties avait suscité beaucoup d’espoir des professionnels marocains, lesquels avaient alors massivement investi pour maximiser leur profit sur ce marché à fort potentiel.
Mais désormais, la réforme de la PAC tend à modifier le régime d’accès des fruits et légumes des pays tiers, dont le Maroc, sur le marché de l’Union. Mettant notamment en péril la tomate marocaine.
Fin juillet, le Maroc a demandé le report de la cinquième session de négociations avec l’Union européenne (UE) censée aboutir à un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) entre les deux parties. La tenue de cette session était prévue initialement en septembre 2014.
L’ALECA peine en effet à faire l’unanimité des professionnels, surtout en ce qui concerne l’épineux dossier de l’agriculture marocaine après l’annonce par l’UE du nouveau régime des prix d’entrée des produits agricoles marocains sur le marché du Vieux continent.
Validée par la Commission agriculture et développement rural au sein du Parlement européen, la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), qui doit entrer en vigueur au cours du mois d’octobre prochain, instaure un changement des conditions d’accès des produits marocains sur le marché européen.
Ainsi, le nouveau système adopté prévoit à ce titre, que les fruits et légumes seront dédouanés sur la base d’une valeur forfaitaire, sans recours à la valeur réelle des produits, ce qui aurait un impact négatif sur la compétitivité des produits marocains. Cette nouvelle mesure devrait provoquer l’éviction d’une grande partie des produits agricoles marocains, notamment les tomates, les concombres, les courgettes et les clémentines.
Sources : Presse Marocaine
Elisabeth Studer – 11 août 2014 – www.leblogfinance.com