Comment redonner de la valeur à l’alimentation ?
Cette problématique majeure du secteur s’inscrit pleinement dans les travaux des États Généraux de l’Alimentation (EGA) qui se sont déroulés d’octobre à décembre 2017, soit sur la même période d’activité que celle du Think Tank. En témoigne le premier objectif du Président de la République lors de son discours d’ouverture de ces EGA : “permettre à tous dans la chaîne de valeur de vivre dignement”[1]. Le mot est dit.
Ce besoin de revalorisation est partagé par tous les maillons de la chaîne agroalimentaire. Le constat est en effet sans appel : les acteurs industriels et commerciaux doivent faire face à une stabilité de la demande des consommateurs (cf graphique ci-contre) et les exploitants agricoles à de nombreuses difficultés économiques les empêchant souvent de vivre dignement[2].
La filière dans son entier est exposée à une défiance croissante des consommateurs. Selon Kantar Media, 16% des Français disent ne pas avoir confiance dans l’alimentation et le constat est encore plus noir chez les consommateurs de demain que sont les « millenials ». Cette défiance est nourrie par les crises alimentaires successives : viande de cheval dans les steaks Findus, oeufs contaminés au Fipronil[3] , le lait infantile fabriqué par Lactalis et contaminé à la salmonelle[4]. Par conséquent, dans l’imaginaire de tous, le lien entre alimentation et santé se détériore alors même que les produits n’ont jamais été plus sûrs et la règlementation plus contraignante. C’est par l’adoption de mesures en profondeur, par une prise de conscience et des mesures collectives que la revalorisation de notre secteur agro-alimentaire sera effective.
Quelles sont les solutions proposées par le Think Tank pour revaloriser l’alimentation ?
Pour les 39 membres du Think Tank représentant tous les acteurs du secteur agroalimentaire, la création de valeur est multicanale. L’objectif ne doit pas être la seule valorisation économique, au risque de voir sinon la confiance des consommateurs s’envoler encore davantage.
De quelles “valeur(s)” parle-t-on ?
La valeur est par définition la conséquence d’un bénéfice que perçoit in fine le consommateur. Ce bénéfice peut être perceptible par ce dernier ou non. On parle non seulement du goût du produit mais aussi du service accompagnant la vente ou plus largement des bienfaits pour sa santé et des conséquences sur l’écosystème. L’alimentation ne doit pas s’arrêter au simple bienfait premier de la consommation mais doit être en accord avec le système de valeurs du consommateur. C’est seulement ainsi que la valeur sera créée et la confiance retrouvée.
Comment s’est déroulé le travail mené par le Think Tank ?
Afin de donner davantage de valeur à l’alimentation dans son ensemble, il était nécessaire de réfléchir à des recommandations qui pourraient s’appliquer aussi bien aux divers acteurs économiques de l’écosystème alimentaire qu’aux pouvoirs publics.
Quatre axes de travail furent identifiés :
- Comment rétablir la confiance dans les modes de production ?
- Améliorer la qualité nutritionnelle et valoriser la dimension santé des aliments
- Donner une valeur sociétale à l’alimentation
- Valoriser l’alimentation par l’innovation (produit, service, standard de marché)
Au terme de cinq rencontres nous avons finalement établis 17 recommandations, ambitieuses souvent, mais toujours applicables concrètement et rapidement.
Ces travaux se sont déroulés en parallèle des EGA. Dans quelle mesure vous ont-ils influencé ?
A notre sens, l’influence a été réciproque. Le lien s’est créé non seulement par les objectifs poursuivis, mais aussi et surtout par les membres du Think Tank qui, participant activement aux EGA, ont joué le rôle de passerelles entre ces derniers et nous.
Pour autant, nous avons cherché à être ambitieux et agiles, à la mesure de l’urgence de la situation dans laquelle se trouve la filière, en proposant des recommandations nouvelles, audacieuses et applicables rapidement.
Le projet de loi EGalim, résultat des EGA, est actuellement débattu au Parlement. Quelles sont les principales nouveautés qui pourraient être adoptées avant l’été ?
Le projet de loi “pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous” a été lancé en procédure accélérée par le gouvernement le 31 janvier 2018. Les députés et sénateurs étant en désaccord sur certaines dispositions à l’issue de la première lecture, celui-ci a été transmis à une commission mixte paritaire qui a constaté ne pouvoir parvenir à l’élaboration d’un texte commun. Le projet de loi fait donc l’objet d’une nouvelle lecture par les deux chambres, qui donnera lieu à des débats en séance publique à la rentrée. Dans l’hypothèse ou un accord ne serait pas trouvé à l’issue de cette nouvelle lecture, l’Assemblée nationale se prononcera seule sur le texte à l’occasion d’une lecture définitive.
Ce projet de loi comprend 15 articles qui reprennent les ambitions posées par le Président de la République et le Premier Ministre lors des EGA. Les dispositions les plus marquantes restent certainement le renforcement de la contractualisation, les mesures visant à améliorer le bien-être animal et enfin le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions.
Ces mesures phares font écho à certaines des recommandations formulées par notre Think Tank[6].
Le relèvement du seuil de la revente à perte et l’encadrement des promotions ont beaucoup fait parler d’eux. De quoi s’agit-il et pourquoi est-il si discuté ?
Ces décisions de relever le seuil de revente à perte à 10% et d’encadrer les promotions ne sont, en effet, pas passées inaperçues et ont été beaucoup décriées dans les rangs de l’opposition.
Afin d’assurer un revenu convenable décent aux exploitants agricoles et d’arrêter la guerre des prix que connaissent les distributeurs, le gouvernement souhaite obliger les distributeurs à vendre leurs produits agroalimentaires 10% au-dessus de leur prix d’achat. Cette hausse du prix devant, par effet de répercussion, augmenter le revenu des agriculteurs.
L’opposition craint pourtant que cette mesure se contente d’augmenter les marges des distributeurs sans que les exploitants agricoles n’en voient jamais les bénéfices. On reste selon eux dans le domaine du pari.
Le gouvernement défend sa position en rappelant sa volonté de renforcer la contractualisation, à travers les articles 1 à 5 du projet de loi, afin de s’assurer que la valeur créée remonte effectivement l’ensemble de la chaîne agroalimentaire et atteigne les producteurs.
On parle de contractualisation mais de quoi s’agit-il ? Auparavant les agriculteurs ne disposaient pas de contrats avec leurs clients ?
Non, à l’heure actuelle, la contractualisation écrite est obligatoire dans certains secteurs comme celui du lait et des légumes frais. L’idée d’avoir une contractualisation obligatoire pour toutes les filières, qui fut un temps envisagée, a été écartée et ne figure pas dans l’actuel projet de loi.
L’intérêt d’une contractualisation écrite obligatoire pour une filière dépend de plusieurs facteurs, comme par exemple le degré de concentration de l’aval, l’existence ou non de barrières à l’entrée sur le marché, l’existence pour le producteur d’alternatives de vente au sein de son marché local, la nature des produits, ou encore la situation financière des producteurs.
Avec le projet de loi EGalim, certains domaines resteront soumis à une contractualisation obligatoire par extension d’un accord interprofessionnel ou par décret dans les secteurs soumis à de fortes fluctuations de prix. C’est une garantie d’encadrement et de stabilité pour ces secteurs.
Autre nouveauté du projet de loi : dans les filières où la contractualisation sera obligatoire, le contrat sera désormais initié par l’exploitant agricole et non plus par l’acheteur, souvent plus aguerri aux techniques de négociations.
Cette proposition devrait permettre d’inverser la construction du prix en début de négociations afin de mieux tenir compte des coûts de production, au profit de l’exploitant. C’est un équilibre global qui est ainsi retrouvé.
Le Think Tank souhaite s’engager encore plus loin dans cette voie en proposant une sécurisation accrue des relations commerciales afin de favoriser l’innovation[7], trop souvent freinée par ses aspects coûteux et risqué.
A l’instar du Think Tank, le projet de loi s’intéresse à la valeur sociétale de ce que nous mangeons, et notamment du bien-être animal. Quelles avancées concrètes pouvons-nous attendre ?
Le Think Tank a fait le constat partagé par tous que les attentes sociétales des consommateurs n’ont jamais été aussi fortes, du fait notamment des récentes crises alimentaires, mais aussi des images de l’association L-214[8] sur les conditions de détention et d’abattage de certains animaux. Les images des abattoirs d’Alès, du Vigan et de Mauléon en 2016 ont profondément choqué l’opinion publique et ont renforcé la mobilisation collective pour assurer une meilleure protection des animaux dans les abattoirs.
Lorsque le projet de loi EGalim étend le délit de maltraitance, double les peines encourues et permet aux associations de protection animale de se porter partie civile, le Think Tank propose des mesures applicables à la source afin d’engager les entreprises dans une démarche responsable sur ces questions. C’est ainsi que nous recommandons de promouvoir un statut d’ “entreprise sociétalement contributrice”[9] qui pourrait prendre la forme d’un statut juridique spécifique.
Cet engagement sociétal des entreprises pourrait ensuite se traduire par une notation RSE des produits commercialisés par elles. Le consommateur serait mieux averti et conscient de l’apport bénéfique de cette information, qui l’influencerait dans ses choix et contribuerait à lui redonner confiance dans ce qu’il mange.
Mais comment associer cette revalorisation de l’alimentation avec la confiance sur le long terme des consommateurs ?
D’après les études récentes, les « millenials », consommateurs de demain, ont très peu confiance dans leur alimentation. Redonner du crédit au secteur agroalimentaire, et ce de la fourche à la fourchette, devra nécessairement passer par l’école, afin de jalonner la vie de nos enfants d’étapes alimentaires symboliques[10]. Les générations à venir seront ainsi conscientes des réalités et des pratiques concrètes du monde agricole[11], qui se sont grandement améliorées ces 10-15 dernières années, ce qu’on oublie trop souvent.
Une meilleure connaissance engendrera nécessairement une plus grande confiance et une plus grande valeur accordée au secteur agroalimentaire : notre objectif principal finalement.
[1] Discours du Président de la République aux États Généraux de l’Alimentation, publié le 12 octobre 2017, consultable ici : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-aux-etats-generaux-de-l-alimentation/
[2] Pour rappel, l’étude de Santé Publique France et MSA de 2016, le taux de suicide serait 20 à 30% supérieur chez les exploitants agricoles que dans le reste de la population française.
[3] Le fipronil est une substance active de produit phytosanitaire (un pesticide), de type insecticide.
[4] Bactérie ou bacille toxique qui attaque les cellules d’un hôte et provoque des maladies comme la fièvre typhoïde ou la salmonellose.
[5] Réponse de 80% des ambassadeurs interrogés par le Monde en février 2009 sur cette question.
[6] https://www.olivierdauvers.fr/wp-content/uploads/2017/06/ThinkTank2017.pdf
[7] Recommandation n°16
[8] Le nom de l’association est une référence aux articles du code rural qui traitent du bien-être animal.
[9] Recommandation n°12
[10] Recommandation n°7
[11] Recommandation n°1
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Fidal, partenaire des Échos pour la 4ème édition du Think Tank de l’Agroalimentaire