Vivarte ou le lent déclin des enseignes textile

Quelques jours après le choc de l’annonce des 1.900 suppressions de postes à Conforama et la fermeture de 32 magasins en France, c’est un autre monument du commerce, Vivarte (La Halle, Minelli, San Marina…), qui chute ou plutôt rechute. Vendredi 12 juillet, Patrick Puy, son président, a annoncé dans le quotidien Les Echos que son groupe étant dans l’incapacité de rembourser sa dette, les créanciers deviendront cet automne actionnaires de l’entreprise. “Les porteurs d’actions actuels perdront leurs titres – pour un montant total de 460 millions d’euros”, a-t-il indiqué. Il y a encore quelques mois, le groupe prévoyait un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros en 2019, 65 millions de résultat opérationnel, pour un effectif de 10.000 salariés.

Pour expliquer ces nouvelles difficultés, malgré les cessions à marche forcée d’André, Kookaï, Naf Naf, Chevignon ou Pataugas, le dirigeant évoque l’impact des gilets jaunes sur les ventes. Un manque à gagner de 30 millions d’euros pour ses enseignes de périphérie, comme La Halle, en raison de la désaffection des centres commerciaux. Mais le blocage des ronds-points n’explique pas tout. Les enseignes de mode traversent une crise structurelle sans précédent. “Entre 2007 et 2018, le secteur du textile en France a perdu 15% en valeur et 7% pour la chaussure”, rappelle Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire de l’économie de l’Institut Français de la mode (IFM). Le tournant se situe en 2015 avec un effondrement de 9,5% des chaînes spécialisées installées en centre-ville ou centre commercial sur trois ans. “Avant cette date, elles continuaient à ouvrir des magasins. L’année dernière, plus d’un tiers d’entre elles ont dû en fermer”, constate-t-il.

Bain de sang

De même, lors de la rencontre annuelle de l’Alliance du Commerce, début juillet, Gildas Minvielle révélait que près d’un Français sur deux avait acheté moins de vêtements en 2018. “Or, pour 40% d’entre eux, il s’agit d’une déconsommation choisie, affirme-t-il. Cela signifie que la croissance viendra à l’avenir de prise de part de marché entre concurrents.” Le bain de sang ne fait que commencer. “C’est de notre faute, reconnait Christian Pimont, président de la Fédération des enseignes de l’habillement. Nos collections ne sont pas attractives. On vit sur des basiques avec des ristournes depuis des années. On a désorienté le consommateur. Il ne faut pas s’étonner que les ventes baissent maintenant.”

Selon les chiffres de la Banque de France, 259 entreprises du textile et de la mode sont en procédure de sauvegarde ou en redressement judiciaire. Et beaucoup d’autres présentent d’inquiétants signes de faiblesse avec, pour un tiers d’entre elles, un résultat négatif avant impôt. Les caisses sont vides au moment où il faudrait procéder à des investissements majeurs dans les systèmes d’information et la logique face à la révolution numérique en cours et la montée en puissance des places de marché comme Amazon. “Il existe un risque réel que les retailers classiques soient évincés par la technologie”, estime Philippe Moati, coprésident de l’Observatoire de la consommation. Il explique: “Le modèle précédent était descendant, avec des produits poussés par les marques, le nouveau est remontant, avec des enseignes qui construisent leur offre avec leurs clients.”

La révolution numérique rebat les cartes

Le danger pour les acteurs historiques de la mode est d’être dominé par un oligopole mondial réunissant quelques plateformes technologiques. Celles qui sauront maîtriser les big data et l’intelligence artificielle, éventuellement la logistique. Invité par l’Alliance du commerce, début juillet, François Loviton, le directeur Brands et retail de Google France a rappelé quelques chiffres qui donnent le frisson: en deux ans, le nombre de requêtes sur le moteur de recherche pour la livraison en 24 heures a progressé de 185%. Et celles sur les heures d’ouverture du magasin de 145%. “Cela reflète l’impatience du consommateur avec une fragmentation incroyable du parcours client avec 100 points de contact en moyenne (auprès de ses amis, les réseaux sociaux, des enseignes…) et 50 jours pour l’achat d’une robe”, indique-t-il.

Pour la chaîne Etam, la révolution a déjà commencé avec des logiciels comme Mind Out capables d’évaluer l’engagement des consommateurs pour un produit afin ajuster en permanence les collections. C’est ce machine learning qui détecte les futurs best-sellers, et bien d’autres investissements technologiques, qui ont manqué à Vivarte ces dernières années.

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