Partir en trombe d’une station-service sans payer le plein ou siphonner le réservoir d’un véhicule, ces phénomènes sont récurrents ces dernières années, au gré de l’évolution des prix des carburants. La flambée des prix à la pompe ces derniers mois s’est d’ailleurs fait sentir: le ministère de l’Intérieur a recensé 9.650 cas de vols de carburant dans un véhicule et 4.600 cas de filouterie (ou grivèlerie, c’est-à-dire le fait de partir sans payer) dans les stations-services sur les neuf premiers mois de 2018. Un total de 14.250 actes malveillants. Le rythme est plus rapide qu’en 2017, où 19.706 actes de ce genre ont été recensés sur douze mois (dont 11.899 cas de siphonnage et 7.810 cas de grivèlerie).
Les exploitations agricoles, les chantiers et engins de BTP, ainsi que les poids lourds sont particulièrement ciblés, selon les autorités, qui ont pris des mesures de prévention et de répression. Un renforcement des patrouilles de CRS sur les aires d’autoroutes avec stationnement de poids lourds a ainsi été mis en place. «Les vols de carburant ont surtout lieu lorsque les camions sont en déplacement, ou sur les chantiers, lorsque les engins restent sur place la nuit», explique Laurent Galle, dirigeant du groupe de transport Noblet, qui loue des camions et pelleteuses de chantier en Seine-et-Marne et Yvelines. Lui-même s’est fait voler une cuve de 1.000 litres de GNL (gaz naturel liquéfié) sur l’un de ses sites le mois dernier, d’une valeur de 1.000 euros environ, plus les 200 euros que vaut la cuve elle-même.
Les «bons gestes» de précaution
Certains carburants ont plus la cote que d’autres, compte tenu de l’évolution des prix à anticiper, notamment avec la hausse de la fiscalité en janvier 2019. «Si les engins sur les chantiers roulent au gazole, il est sûr que l’on peut s’attendre à une hausse de ces vols», ajoute Thierry Plan, dirigeant de l’entreprise de travaux publics Recipon, en Seine-et-Marne, qui se dit lui-même épargné par ce phénomène, ses véhicules rentrant chaque soir au dépôt. Les agriculteurs aussi prennent de plus en plus de précautions. «Nous sommes des cibles faciles avec nos tracteurs et leurs réservoirs de 200 à 300 litres. Les cuves dans les fermes sont aussi visées », s’irrite Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA et agriculteur en polyculture et élevage dans l’Oise. «Dans mon secteur des Hauts-de-France, tous les exploitants ont constaté au moins une fois que leurs réservoirs avaient été siphonnés ces dernières années.»
En 2014, le dispositif Alerte Agri a été mis en place dans le cadre d’une convention nationale entre le ministère de l’Intérieur et la filière agricole. Un dispositif destiné à sécuriser les exploitations agricoles a été décliné dans chaque département, sous l’égide des préfectures, gendarmeries et chambres d’agriculture. «Il liste par exemple les bons gestes à avoir pour éviter les vols de carburant, comme par exemple mettre un cadenas sur la pompe électrique, enlever l’échelle quand on a fini d’utiliser la cuve, ou placer la cuve à fioul le plus près possible des bâtiments habités de la ferme», détaille Luc Smessaert. Un système d’alerte par SMS complète le dispositif. «Quand un vol ou tout autre incident s’est produit dans un rayon proche de notre exploitation, nous sommes rapidement prévenus.»
Des tutos pour apprendre à siphonner un réservoir
Ces «bons gestes» sont loin de suffire pour repousser les voleurs qui sont de plus en plus motivés. «Une vraie filière s’est créée, ce ne sont pas des petites frappes qui viennent s’attaquer à des dépôts de camion ou des fermes», assure Laurent Galle. Or, sécuriser de telles installations coûte cher. «Bien équiper un dépôt, par exemple en caméras et barrières de sécurité, peut se chiffrer entre 10.000 et 20.000 euros, sans compter le salaire d’un gardien s’il y en a un», précise le dirigeant de l’entreprise Noblet. Une fourchette similaire est avancée par Francis Pousse, président de la branche carburant du CNPA, qui représente 6.000 stations-services indépendantes.
Lui-même exploitant d’une station en périphérie du Mans, dans la Sarthe, il constate que la vidéosurveillance ne suffit pas toujours. «Contrairement aux stations des grandes surfaces, qui ont pu déployer des parades comme le prépaiement, des voies de sorties en gymkhana pour ralentir la fuite ou des barrières levantes, les pompistes indépendants ne peuvent pas faire de tels investissements.» D’autant plus que le fonds d’aide aux stations-services qui existait depuis 1991 a disparu en 2014. En 2003, il était encore abondé de 12 millions d’euros en 2003, un montant qui avait fondu à 2,8 millions en 2014.
Des pompistes aux routiers, en passant par les agriculteurs, les victimes de ces vols se sentent impuissants. «Il est très facile de nos jours d’acheter en ligne du matériel pour siphonner les véhicules ou dans les magasins de bricolage, par exemple, et l’utilisation en est très simple», regrette Jean-Marc Rivéra, secrétaire général de l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE). Les tutos vidéos pour apprendre à vider un réservoir d’essence pullulent sur le web. De Cdiscount à RueduCommerce, en passant par Leroy Merlin, l’offre de pompes à siphonner est très vaste, à des prix variant de 3 à 10 euros. Sollicitées par Challenges, aucune des trois enseignes n’a souhaité évoquer les évolutions récentes de leurs ventes de ces produits.